Vendredi 13
Jour de malheur
En cette année 1980, s’il vogue sur le succès de Halloween (son titre utilise un jour célèbre connu de tous), Vendredi 13 se permet également de calquer la structure de son introduction : une scène située dans le passé en guise d’ouverture, une vue à la première personne permettant de masquer l’identité du danger resté hors champ, un meurtre, puis la suite de l’action qui se situera dans le présent. Un film clairement opportuniste, qui s’inscrit dans une tradition du slasher initiée depuis quelques années par Psychose, Black Christmas… où souvent le sexe est puni par le sang. Comment Vendredi 13 tire-t-il son épingle du jeu? La réponse n’est pas aisée. Sa mise en scène est assez quelconque, son casting peu reluisant (le tout jeune Kevin Bacon ne sort pas vraiment du lot), ses personnages principaux sont sans épaisseur. Cela n’empêche pas le film d’engranger près de 40 millions au box-office pour un investissement dérisoire de 550 000 $ et ce, malgré une critique assassine! Sean S. Cunningham, en plus de réaliser ce métrage à petit budget, en est aussi le producteur. La chance lui sourira, car si le film est loin d’atteindre la force de l’œuvre de Carpenter, il va initier la genèse, sûrement sans en être conscient, de l’une des figures les plus populaires et prolifiques du cinéma horrifique…
En quête d’identité
1958. Par une nuit de pleine lune, au bord du Crystal Lake, un groupe de jeunes gens chantent tout sourire et en chœur des standards des camps d’été, au son d’une guitare classique qui leur donne le rythme et l’entrain nécessaires. Parallèlement, des plans filmés en caméra subjective laissent planer un danger imminent. La musique stridente, d’abord discrète, se mue en un flot de violons bien plus nerveux pour accompagner un double meurtre dans les premiers instants du film, lorgnant du côté de Bernard Herrmann et de John Williams. Harry Manfredini introduit tout de même un thème signature, sorte de sample synthétisé de la pensée du tueur, qui prendra du sens à la fin. Un simple couteau est employé pour punir deux jeunes gens qui s’étaient écartés du groupe pour se caresser en toute discrétion. La suite de la bande originale, de bonne facture, confirmera néanmoins des inspirations un peu trop appuyées de Psychose et des Dents de la Mer.
1979.
Vingt-et-un ans après ces terribles évènements, le camp est réhabilité pour une réouverture prochaine que les habitants des alentours voient d’un mauvais œil. Mais la jeune Annie, venue pour faire la cuisine à la colonie, se moque de ces mises en garde et continue sa route. Prise en auto-stop sur les derniers kilomètres, elle va se rendre compte trop tardivement des mauvaises intentions du conducteur (resté hors champ) et finit égorgée en pleine forêt.
Entre 1958 et 1979, les jeunes ne semblent pas avoir beaucoup changé au premier abord. La guitare sèche égaie encore les soirées autour d’un bon feu. Il y a toujours un couple pour s’éclipser avec une idée coquine derrière la tête. Une partie de strip monopoly montre que la révolution sexuelle des années 1970 est passée par là, mais l’étude sociologique s’arrête là. Si l’idée de placer son histoire dans un camp de vacances est plutôt originale (et inspirera d’autres films par la suite), les divers meurtres qui vont ponctuer Vendredi 13 ne débordent pas d’ingéniosité, commis à l’aide d’armes blanches classiques dans le genre. Sean S. Cunningham se démarque de son modèle Halloween par une violence plus frontale et sanglante, offrant une grande place à l’art de de Tom Savini (Le Mort-Vivant, Zombie…), dont le réalisme est toujours aussi efficace. Le maquilleur suggère même l’idée de ce qui deviendra la scène finale marquante. Le film est une succession de plusieurs scènes de meurtres ponctuées par des évènements parfois dénués d’intérêt qui font un peu remplissage. Vendredi 13, après une heure de métrage, ne révèle pas une personnalité très forte, mais son dernier chapitre rattrape heureusement ce manquement de manière heureuse…
Renaissance
Avec la révélation tant attendue du tueur, Vendredi 13 abat une première carte intéressante: il s’agit d’une femme cinquantenaire, vêtue d’un pull en laine bleu ciel, Mme Voorhees. Elle justifie ses actes pour venger la mort de son fils Jason (Jacky en VF !), noyé dans le Crystal Lake suite au manque de vigilance de la part d’animateurs de la colonie d’alors, plus préoccupés par le sexe que par leur devoir, un an avant que les premiers meurtres ne surviennent… Cette révélation la rend bien plus humaine que ses actes terrifiants, même si cette motivation meurtrière n’est en aucun cas excusable. L’affrontement final qui aura lieu au bord du lac entre la dernière survivante, Alice, et Pamela Voorhees, clôt cette histoire d’une façon simple, apportant une certaine cohérence à l’ensemble qui rattrape toute la crainte qu’on pouvait ressentir pendant les deux tiers du film. Alice, campée par Adrienne King, est loin d’atteindre la dimension d’héroïne et d’icône sexuelle de Laurie Strode (Jamie Lee Curtis dans Halloween). Mais elle parviendra elle aussi à venir à bout de cette tueuse impitoyable, dont la motivation est guidée, voir téléguidée par la perte de son enfant, qui semble dicter au plus profond d’elle un ordre simple : “kill mama, kill”. Ce fameux sample qui se répétait dans les plans subjectifs du tueur.
Vendredi 13, s’il reste un film plutôt mineur dans le genre, peut se targuer d’avoir une fin marquante incarnée par cette mère vengeresse. Puis le film enfonce le couteau avec un twist aussi inattendu que mémorable. Alors qu’Alice se remet de ses émotions, elle attend l’arrivée de la police, allongée sur un canoë au milieu du lac, dont la surface, tel un miroir, reflète la beauté environnante. Un moment tout en délicatesse où la musique sirupeuse et le soleil couchant expriment à la fois un certain kitsch et une mélancolie trop belle pour être vraie. La sortie subite de l’eau de Jason, enfant difforme, nous surprendra tous et fait figure de nouvelle naissance pour ce malheureux personnage. Il emporte avec lui Alice dans son monde à lui au fond du lac. Mais un dernier twist, qui peut paraître anodin à ce moment-là, laisse pourtant une ouverture si béante qu’elle en devient propice à plusieurs scénarios possibles. Le réveil à l’hôpital d’Alice fait passer ce dernier épisode entre elle et Jason pour un simple cauchemar. S’agit-il de son imagination ou est-ce réellement arrivé? La police n’a pas vu l’ombre d’un enfant sur les lieux. Mais la graine du mal est pourtant semée dans l’esprit du spectateur. Cette image de l’enfant Jason va le marquer plus qu’il ne le croit.
Genèse d’une entité
C’est là que Vendredi 13 se distingue peut-être le plus de ses modèles et parvient, sans le savoir encore, à générer un des futurs boogeymen les plus connus (mais pas le plus subtil) de la décennie à venir, sans même lui faire porter (encore) un masque ou un costume, ni même le montrer plus de 5 secondes à l’écran. Plutôt que de faire revivre Pamela Voorhees et en faire un personnage féminin récurrent dans plusieurs suites (à l’instar de Michael Myers), comme tout spectateur aurait pu l’accepter de la part d’un scénariste zélé au minimum syndical, c’est finalement Jason qui va devenir ce monstre du cinéma. Ce processus d’imaginer une destinée à un personnage aussi mineur est assez unique. Sean S. Cunningham et Tom Savini trouvaient d’ailleurs complètement stupide l’idée de faire de Jason Voorhees le nouveau tueur… Sa motivation n’a pas dû être difficile à trouver par le futur scénariste, on comprendra qu’il veuille à son tour venger sa mère à grands coups de machette. La saga n’attendra pas longtemps pour refaire surface: un an plus tard, Le Tueur du Vendredi (titre du chapitre II de Vendredi 13) sera déjà de retour!
Sean S. Cunningham sera curieusement absent du générique des suites de Vendredi 13 qui vont fleurir au fil des années 1980 (8 épisodes en tout!) mais bien présent dans la décennie suivante pour Jason va en enfer, puis pour Jason X en 2001. Un exemple assez rare dans le cinéma où la créature a bel et bien échappé à son créateur, tel un Frankenstein des temps modernes.
Il marque tout de même l’histoire du cinéma d’horreur de son empreinte en tant que producteur, en permettant ainsi à Wes Craven de réaliser son œuvre fondatrice en 1972, La Dernière Maison sur la Gauche, et en produisant une autre saga emblématique, la série des House. Son Vendredi 13, et surtout sa création Jason, est encore loin de ressembler à la créature que tout amateur d’horreur identifiera bientôt comme le tueur au masque de hockey et à la machette, cette icône pop des eighties, oubliant souvent l’enfant au destin tragique qu’il fut.