Saturn 3
Deus ex machina
Film mal aimé lors de sa sortie et tombé un peu dans l’oubli cosmique, Saturn 3 a pourtant de nombreux atouts. Bien sûr 2001, Alien et Star Wars l’ont précédé, et si la comparaison penche en sa défaveur aux yeux de la critique de l’époque, celle-ci ne se doute pas que ce film en marquera plus d’un, à commencer peut-être par James Cameron…
Un film sous influences
Le premier plan de Saturn 3 annonce une belle ambition. Un immense vaisseau envahit l’écran sur un air puissant, cousin du Zarathustra de Strauss. Du déjà vu, c’est vrai, même en mieux dans bon nombre d’autres films. La réalisation du doyen Stanley Donen, le roi de la comédie musicale, est sobre. Elle n’aurait pas le souffle d’un Kubrick ou d’un Ridley Scott? Effectivement. Les effets spéciaux semblent moins élaborés que dans les space operas précédemment cités? Qu’importe, non ? La technologie a parfois le malheur de mal vieillir. Alors à quoi faut-il s’attendre au vu de ces premiers instants ? A une série B plutôt argentée voire un chef-d’œuvre du kitsch à la sauce seventies ? Un peu des deux très certainement !
Si les influences sont évidentes et les défauts nombreux, il s’agit simplement de se laisser happer par la proposition de voyage qui nous est faite, car sous ses faux airs de fils indigne, le film propose de très bons concepts de pure SF ainsi que des thématiques passionnantes qui font toujours écho en cette année 2020.
Conflits de générations
Lorsque le Dr Benson, jugé instable par ses supérieurs, récupère insidieusement la mission qui lui avait été retirée initialement, c’est sans scrupule aucun qu’il exécute son homologue dans une scène gore du plus bel effet. Il rejoint ainsi Saturn 3 où Adam et Alex, un couple à la différence d’âge nette accompagnés de leur chien, sont reclus depuis de nombreuses années. Deux scientifiques voués corps et âmes à la recherche pour sauver la Terre et l’humanité de la famine et de la pollution. Des sujets déjà bien préoccupants en cette fin des années 70.
Dans des costumes que seraient peut-être tentés de porter les Daft Punk, les blonds Kirk Douglas et Farrah Fawcett se retrouvent face à Harvey Keitel, jeune bellâtre ténébreux immédiatement arrogant. Benson dévoile ainsi une froideur assez robotique et ne se refuse ni au voyeurisme ni à la misogynie. Leur reprochant un grand retard dans leur mission, il vient pour rattraper le temps perdu et apporte avec lui une étrange cargaison. C’est d’un immense robot a priori scientifique et domestique dont il s’agit. Doté d’un gros cerveau, la créature de métal va pouvoir apprendre en quelques semaines bien plus que n’importe quel humain en plusieurs années.
Robot malgré lui
En réalité directement connecté au Capitaine Benson (par le wifi du futur), c’est d’un esprit tordu qu’Hector va puiser sa connaissance, son caractère, ses gestuelles et aussi ses névroses. Ne lui manquant que la parole, le robot composé de métal et traversé par des câbles veineux possède un design heavy metal très convaincant. Bon élève et serviable, il manifeste très rapidement des prédispositions au sadisme et voit des envies de meurtre monter en lui. A l’instar de la créature de Mary Shelley, l’avatar de Benson/Frankenstein va tenter de tuer son géniteur. Il est temps pour les trois humains de le démanteler. End of the story.
Le soulèvement des machines
Cette fin aurait été trop belle pour nos protagonistes, mais quel dommage si le film s’était arrêté ainsi. Car le dernier tiers du métrage prend une tournure dantesque. Dans un concept cameronien avant l’heure, les machines, comme douées d’une conscience, prennent leur avenir en main. Le film, dès lors, semble se transformer en une heureuse esquisse de Terminator, d’Aliens, et même d’Avatar. Même Matrix n’est pas loin, avec cette idée d’apprentissage en connexion par la nuque (sans parler des pilules) ! Hector, un exemplaire parmi d’autres d’une série bien nommée Demi-Dieux, va entreprendre une chasse à l’humain impitoyable.
Si les décors manquent parfois de sobriété, le film gagne en intensité dans son dernier tiers grâce un éclairage plus sombre, un montage plus nerveux et une ambiance sonore alternant musique électro avant-gardiste (par le grand Elmer Bernstein) et des sons d’ambiance du plus bel effet. Saturn 3, trop hâtivement jugé comme un ersatz, déploie de magnifiques atours et devient une véritable passerelle entre l’ancien Hollywood et le renouveau de la SF à venir dans la glorieuse décennie 80.
Chaînon manquant
Imaginez un peu : et si Saturn 3 n’avait pas existé, Cameron aurait-il abordé son cinéma sous le même angle ? Faut-il remercier ces deux symboles du vieil Hollywood que sont Donen et Douglas et sa légendaire fossette (pas Farrah, l’autre) d’avoir enfanté de ce fabuleux satellite ? Ironiquement, on constatera que le jeune soixantenaire Kirk Douglas vivra encore durant près de quarante ans après la sortie du film, et que Donen s’éteindra un peu plus tôt, en 2019, à l’âge de 94 ans ! Il est délicat de parler d’influence non consciente ou d’inspiration détournée, mais s’il a été reproché en son temps à Saturn 3 de manquer d’intérêt face à ses aînés, nul doute qu’il serait juste de le lui accorder la place qu’il mérite dans l’histoire du cinéma, quelque part entre Alien et Terminator.