Films sortis en 2024
Watch in progress
Nous sommes loin de pouvoir tout voir, et d’avoir tout vu, mais voilà les films de 2024 vus par notre équipe sur les écrans de cinéma (et parfois de télévision) et que nous avons envie de partager avec vous, ou pas.
NOVEMBRE 2024
Gladiator II
« Du pain et des jeux du cirque », c’est, paraît-il, ce dont se contentait le peuple romain il y a fort longtemps. S’il avait de quoi manger et se divertir, alors les puissants pouvaient agir comme bon leur semble. Aujourd’hui, certains studios hollywoodiens pensent sans aucun doute la même chose. “Du popcorn et un blockbuster” sont l’opium du spectateur, et celui-ci n’en demande pas plus. En l’an 2000, Russel Crowe incarnait ce héros au destin incroyable, dans un péplum moderne qui se jouait des modes d’alors et devenait un succès colossal grâce à une revisite d’un genre presque oublié. Près de 25 ans séparent séparent Gladiator de ce secondus opus, toujours réalisé par Ridley Scott, avec cette fois Paulus Mescalus dans le rôle-titre. Une suite que les mauvaises langues auront jugé inutile bien avant sa sortie, mais heureusement, les Dieux du box-office savent ce qui est bon pour les Hommes. On ne va pas se le cacher, Gladiator II est un naufrage sur tous les plans. Qu’il s’agisse de l’interprétation ou le charisme de nombreux comédiens, de l’empathie éprouvée à l’égard des personnages, de la mise en scène paresseuse, de la qualité effarante des dialogues, de l’originalité des situations, sans parler des longueurs et des aberrations historiques, rien ne peut être sauvé. Certes le film a traversé quelques épreuves (la grève des scénaristes notamment), mais avec son budget qui atteint près de 300 millions de dollars, c’est une série B, voire Z, qu’on nous sert sur un plateau d’argent! Devant une telle galère, le spectateur averti aura le sentiment d’être esclave d’une séance semblant s’éterniser, trop poli pour quitter le navire. Si Gladiator signait la renaissance du péplum, Gladiator II semble vouloir l’enterrer. Malheureusement, le démarrage triomphal, dû à une attente de nombreux fans, risque d’aveugler les Dieux de Hollywood, peu commodes à entendre les critiques lorsque les billets verts coulent à flot. Si le succès permet de rentabiliser ce qui aurait dû être un flop, espérons que pour Gladiator III, on ait au moins droit à quelques dinosaurus, et cerise sur le gâteau, Jason Statham en gladiateur Fastandfurius?
Sorti le 13 novembre 2024
The Substance
Un oeuf de poule, sorti de sa coquille, est posé à plat sur un plan de laboratoire. Une seringue vient inoculer un liquide verdâtre dans son jaune. Quelques secondes plus tard, un deuxième jaune naît du premier. Tel un jumeau, il semble identique, à peine plus lisse peut-être. Cette substance, on l’apprendra bientôt, a le don de dupliquer un être vivant et d’en extraire une meilleure version. La métaphore de l’œuf dédoublé et augmenté peut d’abord se rapporter à ce deuxième long-métrage de Coralie Fargeat. Si Revenge, son premier effort, révélait de belles qualités esthétiques et de mise en scène, il pêchait par un côté démonstratif et trop clipesque qui nous laissait sur notre faim. Mais l’énergie et la passion cinéphilique qui s’en dégageait étaient clairement celles d’une réalisatrice à suivre. 7 ans séparent The Substance de ce rape and revenge. De cette courte filmographie ressortent déjà des thématiques récurrentes. Des personnages féminins devant faire face à des situations qui les dépassent. Un changement de personnalité, forcé ou subi, pour tenter de survivre à la violence (masculine disons-le). Si The Substance est lui aussi excessif sur bien des aspects (visuel, montage, l’usage des gros plans, du gore…), il est impressionnant de constater à quel point la réalisatrice a gagné en nuances, en subtilité et en maturité. Les degrés de lecture de son film sont bien plus nombreux grâce à des scènes puissantes, un sous-texte induit plus qu’explicite, ou par l’utilisation de couleurs récurrentes (le jaune, le rose, le vert, le bleu), parfois criardes, qui pimentent la narration.
Le plan d’introduction, montrant la mise en place de l’étoile du Walk of Fame puis le passage du temps sur elle, possède à lui seul une force indiscutable, résumant en pas moins de 2 minutes 30 la fabrication de la star, l’admiration qu’elle suscite, l’ascension puis le déclin qu’elle va traverser, sa surface se craquelant à force d’être piétinée, souillée et finalement ignorée, jusqu’à l’oubli… Une terrible manière de résumer la destinée parfois éphémère d’une actrice. Elisabeth Sparkle (Demi Moore) a été une grande star du cinéma dans sa jeunesse. A 50 ans, au top de sa forme, elle anime une émission d’aérobic populaire. Seulement voilà, le directeur des programmes (Dennis Quaid) estime qu’il est temps de la remplacer et lui annonce le jour se son anniversaire qu’il est temps de renouveler ce show vieillissant. Sous le choc, elle est victime d’un accident de voiture, mais par miracle, en sort indemne. On lui offre l’occasion de tester un produit miracle, The Substance. A usage unique, le produit injecté dans ses veines va engendrer une meilleure version d’elle-même, nommée Sue. Plus jeune, plus belle. Deux corps distincts pour une seule et même personne en réalité. Seule règle à respecter, alterner chacune son tour son existence dans la vie réelle. Bien entendu, tout ne va pas se dérouler comme prévu…
La puissante Hollywood est désignée coupable mais c’est en réalité un fonctionnement bien plus global qui est ici pointé du doigt. Ce schéma ancré depuis plusieurs générations fait comprendre aux femmes qu’elles doivent rester belles et désirables, contrairement aux hommes dont la maturité et l’élégance de la vieillesse ne font aucun doute. Ce propos prend d’autant plus d’impact avec la réélection de Donald Trump, représentant d’un masculinisme qui ne va qu’aggraver la vision qu’ont certains mâles envers le genre féminin. Le choix de
Demi Moore est pour le coup terriblement pertinent. L’actrice, propulsée dans les années 1990 grâce à un succès fulgurant (Ghost) puis tête d’affiche de plusieurs longs-métrages (Des Hommes d’honneur, Striptease, GI Jane…), cumule depuis les années 2000 des rôles secondaires ou anecdotiques. Sa prestation dans The Substance est véritablement stupéfiante. Comme une ultime occasion de se rappeler à notre bon souvenir, elle se donne corps et âme dans ce body horror, à la fois radieuse, fragile, désespérée et pathétique. Un rôle de décomposition, où sa condition de femme désuète va la pousser à tenter le tout pour le tout pour revenir sous les feux des projecteurs.
Ouvertement féministe, le film ne se limite pas à être un brûlot contre les hommes et n’en dénonce pas moins la violence généralisée du public, des médias et celle du personnage féminin lui-même, finissant par haïr sa propre personne, son être intérieur. La crainte de vieillir, de quitter la gloire, de ne plus plaire, vont pousser le personnage jusqu’à l’autodestruction.
Relecture moderne du Portrait de Dorian Gray ou de La Peau de chagrin, The Substance lorgne clairement du côté de l’œuvre de Cronenberg, Lynch ou même Carpenter. On pense à La Mouche, The Thing ou Elephant Man. Après Julia Ducournau et son Titane, l’horreur organique contemporaine semble avoir trouvé une nouvelle représentante en la personne de Coralie Fargeat. Les deux femmes ont en commun de créer un univers, certes sous influences, totalement assumé, cohérent et jusqu’au boutiste. Le sillon qu’elles tracent est loin d’être rectiligne et de nombreuses fulgurances, voire des outrances, viennent bousculer le spectateur afin de ne jamais le laisser tranquille dans son fauteuil. Malaisant, dérangeant, The Substance est une des claques qu’on aime se prendre de temps à autres au cinéma. A la toute fin, la boucle sera bouclée, l’étoile filante aura retrouvé sa place sur le Walk of Fame, cette plaque qui l’a déjà rendue éternelle depuis longtemps.
Sorti le 6 novembre 2024
OCTOBRE 2024
Anora
A travers tous ses films (Tangerine, The Florida Project, Red Rocket…), Sean Baker nous offre depuis plus de vingt ans maintenant des portraits singuliers de personnes paumées, abîmées ou délaissés par la vie et qui n’ont d’autres choix que de s’en sortir. Des œuvres plutôt confidentielles dans lesquelles il nous conte une autre Amérique que celles des winners et des super-héros. Des fables situées dans le réel, jamais larmoyantes, où les notions de bien et le mal ne sont pas le sujet, où la morale n’a pas son mot à dire et où seuls les êtres et leurs choix comptent. Les aventures que Sean Baker nous proposent sont des rencontres avec des personnages que l’on doit prendre tels qu’ils sont et, si on accepte de les connaître à défaut de les comprendre, ils parviendront à nous toucher de manière inattendue. Récompensé par la Palme d’Or en mai dernier à Cannes, Anora est l’occasion pour cet artiste complet (il est scénariste, réalisateur, monteur de quasi tous ses films) d’être reconnu par ses pairs et peut-être enfin de se révéler à un public plus large. Encore une fois, son style d’écriture et sa manière de raconter l’histoire font mouche. Anora, 23 ans, est une escort girl talentueuse qui travaille au sein d’un établissement de Brooklyn. Elle enchaîne les clients avec un professionnalisme et une énergie communicative. Un soir, elle fait la rencontre d’un jeune Russe de 21 ans, fils d’un oligarque. Séduit par la belle, il va l’embaucher pendant une semaine pour profiter de son séjour américain avant de retourner en Russie. Mais la passion amoureuse insouciante qui va naître durant ces quelques jours va tellement les porter qu’ils vont se marier à Las Vegas afin de pouvoir rester ensemble aux Etats-Unis. Trop beau pour être vrai? Effectivement, puisque les parents de l’immature Ivan, en apprenant la nouvelle, vont envoyer leurs sbires afin de faire annuler cette union honteuse… Si la trame initiale évoque un Pretty Woman pour adulte, le film se transforme en une quête désespérée dans laquelle un quatuor improbable (Anora et trois hommes de main) vont partir à la recherche du jeune marié, parti en courant afin de leur échapper. Si le film passe de la passion à une soudaine violence, Sean Baker a le don de ne jamais trop nous inquiéter et que ces scènes deviennent des moments de vraie comédie. Ce conte de fées regorge d’amour, de tension et de vie, sublimé par des acteurs tous excellents dans leur rôle. Sean Baker ne garantit pas pour autant une happy end, mais offre un voyage mouvementé dans New York hors du circuit touristique déjà vu. La virée nocturne est lumineuse forcément, baignée par les néons de la ville, et comme toutes ses œuvres, elle est solaire, généreuse et irrésistible. Anora méritait-il la Palme d’Or pour autant? Certes dans la sélection 2024, certains réalisateurs n’ont pas livrer leur plus grand film. Cela a peut-être joué en sa faveur, mais il se dégage d’Anora une folie douce et tellement imprévisible, comme avaient pu le proposer en leur temps des œuvres comme Sailor & Lula ou Pulp Fiction, loin d’un académisme parfois pompeux, que lorsque le plaisir du cinéma à la fois divertissant et intelligent est retrouvé, il donne envie de le distinguer afin d’encourager la création à poursuivre dans cette voie. Laissez-vous séduire par le monde de Sean Baker qui regorge d’individus attachants, entiers, qu’on ne croise nulle part ailleurs.
Sorti le 30 octobre 2024
Juré n°2
Le dernier Eastwood, dont on a longtemps attendu des infos, s’est affiché un peu plus à l’aube de sa sortie en salle. Juré n°2 cumule plusieurs atouts — beauté formelle, scénario au millimètre, casting à l’interprétation impeccable — qui nous emportent sur un terrain connu, le film de procès, dans un rythme de croisière sur une mère d’huile des plus rassurants. L’histoire, un peu improbable, de cet homme, Justin Kemp, convoqué pour être juré dans un procès pour lequel il est sans doute le coupable, semble être originale pour beaucoup de spectateurs. Le 7ème Juré de Georges Lautner en 1962 racontait pourtant de manière brillante, et plus audacieuse, une histoire assez similaire. Le personnage campé par Nicholas Hoult est certes confronté à un dilemme: avouer sa culpabilité et donc ruiner sa vie et sa famille, ou taire cet accident et sacrifier la vie d’un homme accusé à tort (mais loin d’être un sans histoires). L’ensemble des jurés, d’abord convaincus que l’ex-compagnon de la jeune femme retrouvée morte l’a clairement assassinée, vont peu à peu revoir leur jugement, influencés par Kemp, qui tente de le sauver. Quel en sera le verdict? Cousu de fil blanc, le film cumule aussi quelques grosses ficelles (le coupable désigné juré, l’enquête bâclée) et quelques thématiques pas très fines (la mort d’un homme vs la naissance d’un enfant, la justice aveugle face à un coupable idéal…). Il manque de la surprise à ce Juré n°2, il manque du souffle à sa mise en scène. Et peut-être un peu de recul. On n’est bien sûr pas face à l’époque glorieuse d’Impitoyable, sommet du western noir. Eastwood a toujours alterné des films populaires conventionnels avec des œuvres plus personnelles, plus marquantes. Mais quelle morale retenir de ce film (testament?), si ce n’est des poncifs déjà vus et revus. On a beau être fan de Clint Eastwood, il faut savoir juger chacun de ses films de manière sincère, sans l’encenser aveuglément. Est-ce que lui voterait républicain par habitude si le candidat était un menteur, grossier, manipulateur, fraudeur? Sûrement pas! Ah si? Clint a revoté Trump? C’est un bien triste constat. C’est sûrement son côté politiquement incorrect qui reprend le dessus.
Sorti le 30 octobre 2024
Monsieur Aznavour
Le biopic, s’il est presqu’un genre en soi dans le cinéma, a donné lieu autant à des grands films qu’à des œuvres assez minimes. Cette qualité dépend d’abord de la femme ou de l’homme dont on relate la vie (une figure historique, un artiste peintre un acteur…), si son parcours vaut la peine d’être raconté car tout en nuances ou parsemé de zones d’ombre, et surtout si l’acteur ou l’actrice qui va incarner le personnage parvient à donner l’illusion. L’hommage édulcoré est rarement convaincant, notamment pour les stars de la chanson. Monsieur Aznavour coche les bonnes cases, d’abord grâce au talent de Tahar Rahim. Derrière son maquillage, il donne vie et corps à ce jeune chanteur, petit par la taille, loin d’être une voix d’exception à ses débuts, qui va devoir travailler dur pour atteindre ses rêves les plus fous. Démarrant sans le sou, il va faire les bonnes rencontres mais devoir faire les sacrifices qui en découlent pour réussir véritablement. Inarrêtable, le jeune Charles, dont les premières prestations scéniques sont plutôt déprimantes, va voir les portes de la gloire s’ouvrir une à une jusqu’en Amérique. Grâce à un talent d’écriture qui va devenir sa recette, il parviendra à conquérir le monde entier. Visuellement très élégant, le film de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, s’il se veut un éloge indéniable à l’artiste, n’élude pas les souvenirs douloureux du sieur et son caractère trempé qui a souvent mis en second plan femmes et enfants. Il est agréable de découvrir aussi des chansons moins connues, celles des débuts, qui permettent de vraiment replonger dans une époque où le music-hall était un univers difficile à conquérir. Ainsi le film évite l’aspect “best of” qu’on peut reprocher à beaucoup de biographie filmée, et s’intéresse autant à l’homme qu’à ses chansons.
Sorti le 23 octobre 2024
Challenger
De temps en temps, il est bon d’oser aller voir des films dont on n’attend pas grand chose, de “challenger” ses habitudes de cinéphile exigeant afin de se tenir au courant de ce qui se passe du côté de la comédie française populaire. Alban Ivanov fait partie de ces comédiens plutôt sympathiques, capables d’être convaincants lorsque leur personnage est bien écrit et que le metteur en scène est digne de ce nom, tout comme d’être insupportables lorsque le scénario et l’ambition du film tiennent sur un bout de carton. Si Challenger est loin d’être un grand film, il a le mérite de proposer une histoire qui tient la route, dans laquelle l’acteur d’origine russe né à Narbonne s’est sans nul doute investi émotionnellement et surtout physiquement. Clairement crédible dans son rôle de boxeur amateur Luka, soudain popularisé sur les réseaux sociaux et condamné à affronter malgré lui le champion d’Europe en titre, il l’est également dans sa relation avec sa coach Stéphanie (Audrey Pirault), formant un duo à la fois complice et conflictuel qui fait mouche. Enfin, et c’est à souligner, cette comédie a le mérite d’être drôle, ce qui n’est pas toujours gagné avouons-le. Les situations survoltées alternent avec des scènes intimistes, allant crescendo jusqu’à un final punchy qui rehausse le film d’un cran, tant il assume ce qu’il promettait et le traite de manière réussie. Les seconds couteaux apportent ce qu’il faut pour alimenter quelques saynètes et gags récurrents pas toujours indispensables mais dans l’ensemble, Challenger procure ces petites émotions qu’on recherche autant dans Rocky que dans Dodgeball : voir un type ordinaire mal barré effectuer un parcours improbable pour parvenir au bout se son rêve (ou de sa connerie), même si au bout du compte tout ne se passe pas comme il l’avait imaginé. « Un Poing c’est tout » comme l’annonce l’affiche…
Sorti le 23 octobre 2024
L’Amour ouf
Les premiers plans de L’Amour Ouf ne trompent pas, le réalisateur Gilles Lellouche sait cadrer. Sa mise en scène fluide et de belles et nombreuses idées dans ses images font plaisir à voir et nous plongent rapidement dans un film qui alterne aisément entre l’obscurité et la lumière. Adapté d’un roman de Neville Thompson, l’histoire originelle située en Irlande est transposée ici dans le nord de la France des années 1980. Jackie est une lycéenne sérieuse, Clotaire est un jeune délinquant déscolarisé plutôt bagarreur. Tout les oppose mais comme les contraires s’attirent, leur rencontre électrique va les plonger dans une histoire d’amour enflammée. Le tempérament du garçon va l’entraîner dans une spirale de violence qui le conduira en prison, où il passera plus de 10 ans. Très librement adapté pourrait-on même dire, tant Lellouche s’empare de cet “homme et une femme” pour en faire un conte moderne, à la fois réaliste et onirique, qu’il imprègne de ses souvenirs de jeunesse (parfois fantasmés) et de sa culture (la musique, le clip). L’Amour Ouf est très généreux dans ce qu’il propose au spectateur en termes d’acteurs, d’abord dans sa première partie adolescente, où les jeunes comédiens crèvent l’écran, côtoyés par des anciens au sommet de leur art, Chabat et Poelvoorde. Dans la partie adulte, le gratin de la nouvelle génération de comédiens est bien représenté : Anthony Bajon, Raphaël Quenard et bien sûr Adèle Exarchopoulos et François Civil. Si des thématiques fortes en ressortent de manière subtile (l’adolescence vs l’âge adulte, les choix de vie, le destin, les conditions sociales…), L’Amour Ouf, c’est dommage, souffre d’un déséquilibre émotionnel entre ses deux parties, plombé par une complaisance pour la violence qui fait parfois passer la romance au second plan, ce qui est dans l’ADN du film en réalité. Mais en privilégiant l’ombre à la lumière, il en éclipse presque nos amoureux, séparés un temps bien trop long pour en sortir indemne. N’empêche que le film a l’étoffe d’un film générationnel qui conquit plus qu’il ne repousse (à la fois le public et la critique). La passion qui s’en dégage est celle d’une histoire à la fois belle et triste, et celle d’un cinéaste rare qui n’a pas fini de nous surprendre.
Sorti le 16 octobre 2024
Miséricorde
Hasard ou coïncidence, cet automne nous livre, quelques jours après le film de François Ozon, une autre histoire prenant place en campagne française où il est question de crime, de champignon, de mensonges et autres non-dits. De nombreuses similitudes entre ces œuvres d’auteurs à la personnalité bien marquée, qui lorgnent du côté du polar tout en privilégiant les rapports entre les personnages. Miséricorde, d’Alain Guiraudie, débute par l’enterrement du boulanger de Saint-Martial. Jérémie, un de ses anciens employés, revient à cette triste occasion dans ce petit village d’Occitanie où il a beaucoup aimé vivre. Martine, la femme de son ex-patron, lui propose de rester une nuit ou même plus s’il le souhaite, afin d’avoir un peu de compagnie dans ce moment de deuil. C’est l’occasion pour lui de recroiser des êtres qu’il a côtoyés et/ou appréciés à l’époque: Vincent le fils de Martine, Walter un ancien paysan, ou l’abbé. Avec son lot de personnages hauts en couleurs et un humour clairsemé mais épicé, Miséricorde se savoure lui aussi comme un bon plat de saison. Guiraudie ne cache rien au spectateur, ni le crime ni le coupable. Son art de mettre mal à l’aise le spectateur à travers des scènes masculines explicites (mais plutôt soft comparées à Rester vertical ou L’Inconnu du Lac), fait toujours mouche. Ici on en rit plutôt qu’on en grimace, et on parlera aisément de comédie noire pour définir ce bal dans lequel les protagonistes ne cessent de se croiser par hasard ou par malchance. Une danse menée par Félix Kysyl, Catherine Frot et Jacques Develay, dans des rôles tout en retenue face aux plus orageux Jean-Baptiste Durand et David Ayala. Située à la saison des morilles, soit au printemps, cette histoire de crime et de champignons n’est donc pas réservée à l’automne. Guiraudie nous invite à sa table pour nous en convaincre, et mérite qu’on honore sa dernière création, édulcorée certes, moins salace mais toujours salée, qui pourrait plaire à un plus grand nombre.
Sorti le 16 octobre 2024
L’Histoire de Souleymane
Par son sujet clairement actuel et son approche très réaliste, L’Histoire de Souleymane aurait pu être un projet documentaire. Boris Lojkine, habitué du genre, fait le choix de la fiction pour son troisième long-métrage et insuffle dans sa narration la dimension universelle qui lui permet de concentrer en un seul personnage une multitude de situations. Souleymane est livreur à vélo à Paris. Migrant guinéen, il voit défiler ses journées dans une course permanente entre le travail, l’octroi d’un lieu où dormir le soir, récupérer de l’argent et surtout, préparer son entretien à l’Ofpra, déterminant pour l’obtention de sa régularisation sur le territoire français. Le style très nerveux du film retranscrit bien la cadence infernale du personnage circulant dans les rues de la capitale ou dans les transports en commun, dans un stress et un brouhaha permanents, tout comme la violence quotidienne terrible à laquelle il doit faire face, où le moindre service est synonyme d’argent en échange, où même attraper le dernier bus devient un chemin de croix. Tourné majoritairement avec des comédiens amateurs, L’Histoire de Souleymane met en lumière Abou Sangare, dont l’histoire personnelle n’est pas sans rappeler celle de son personnage. Il a lui aussi traversé plusieurs pays puis la mer pour atteindre l’Europe, passant entre autre par l’Algérie et l’enfer de la Lybie. Basé aujourd’hui à Amiens et toujours dans l’attente de sa régularisation après avoir essuyé trois refus déjà, son vécu et sa personnalité crèvent l’écran. L’intensité de son jeu, jusque dans les silences, traduit bien des choses et il incarne à lui tout seul les gens invisibles qui peuplent nos rues. Ces hommes qu’on croise tous, dont on ne connait ni le nom ni l’histoire, qui nous délivrent à domicile une nourriture d’un restaurant situé à quelques minutes à pieds seulement. On se rassurera en se disant que ça leur apporte un travail (parfois partagé à plusieurs sur un même compte), avec un peu de chance on leur laissera un pourboire avant d’engloutir notre repas. Et on se contentera souvent de découvrir leur histoire à travers un film dans une salle de cinéma confortable, d’autant plus s’il a remporté un prix à Cannes quelques mois auparavant. Un film comme celui-ci est un témoignage important, qui lorsqu’on le voit nous confronte à une réalité qu’on côtoie habituellement en détournant le regard. Son rôle est de nous éclairer mais aussi de nous embarrasser. A juste titre.
Sorti le 9 octobre 2024
The Apprentice
The Apprentice est un conte de fées américain racontant le parcours d’un jeune, ambitieux et séduisant entrepreneur nommé Donald Trump, convaincu d’être né avec le talent nécessaire pour devenir millionnaire, voire milliardaire. Dans ce merveilleux pays où tout est possible, ce grand blond à la chevelure hirsute a juste besoin d’un coup de pouce pour entrer dans certains cercles fermés afin de dévoiler la démesure de ses idées et d’obtenir par la même occasion les financements adéquats. Il trouve en la personne de Roy Cohn, un avocat impitoyable réputé pour ses méthodes peu scrupuleuses (crapuleuses vous avez dit?), un tremplin pour accélérer son ascension et forger sa personnalité encore trop hésitante. Ce pacte avec cet être diabolique va transformer le jeune louveteau en une bête de plus en plus féroce, exécutant à la lettre les préceptes de ce mentor menteur. Loin de dresser un portrait élogieux, The Apprentice se permet sans doute quelques libertés avec l’Histoire mais semble vouloir coller au plus près de la réalité du futur Président des Etats-Unis et surtout à une époque, les années 1980, propice à toutes les dérives et délires. Ces deux personnages détestables vont nouer une véritable amitié sincère mais aussi mutuellement intéressée, chacun voyant en l’autre un potentiel investissement dans l’avenir. Le conte de fée va virer au cauchemar pour certains membres de l’entourage du Trump nouveau, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Increvable, inaltérable, inarrêtable, cet Américain “exemplaire” rêve simplement de redonner toute sa grandeur à son pays. Incarnés par Sebastian Stan (le Soldat de l’hiver marvelien) et Jeremy Strong, le duo de protagonistes est un des plus inquiétants et des plus ambigus jamais représentés à l’écran. La réalité reste une source d’inspiration indéniable pour le cinéma, car lorsqu’elle est retranscrite avec un sens de la romance et de l’écriture précis comme dans The Apprentice, des personnalités hors normes comme Trump ou Cohn deviennent de fabuleux sujets d’étude anthropologique. Sorti le même jour que Terrifier 3 de ce côté de l’Atlantique, on se demande lequel des clowns est le plus inquiétant…
Sorti le 9 octobre 2024
Terrifier 3
Art est de retour, et la saga Terrifier atteint au passage le statut de trilogie en ce mois d’octobre 2024. La recette à laquelle Damien Leone nous avait habitué, à savoir ce clown muet terrifiant commettant des meurtres horribles le jour de Halloween, est quelque peu bousculée cette fois. En effet, Art, qui avait fini décapité par l’épée, a retrouvé toute sa tête (par un stratagème tiré par les cheveux mais ô combien efficace) et un costume immaculé (par un heureux hasard), s’improvise cette fois en Père Noël! Quelques années ont passé depuis la nuit terrible durant laquelle Sienna et son frère Jonathan ont combattu le clown dans un déluge de violence et de sang. Dans le précédent épisode, un esprit très années 1980 imprégnait la pellicule granuleuse, rehaussé par des éléments de magie qui lorgnaient du côté de Poltergeist. Terrifier 3 enfonce le clou, à travers sa bande son et une plongée dans le surnaturel totalement décomplexée. Précédée d’une réputation (véritable ou pas?) d’évanouissements et de vomissements constatés chez certains spectateurs, la rumeur s’est déployée grâce à la puissance des réseaux sociaux. L’interdiction aux moins de 18 ans (extrêmement rare pour un film d’horreur de nos jours) a été un coup de pub monstrueux pour Terrifier 3. Alors que les deux premiers films étaient passés inaperçus chez le commun des mortels, celui-ci a suscité une frénésie, chez les adolescents notamment, qui ont vu en en ce film une transgression ultime. Peu d’entre eux le verront au cinéma, les contrôles à l’entrée étant particulièrement sévères, mais Terrifier 3 rejoint déjà la liste de films qui ont fait fantasmer les précédentes générations de cinéphiles. De Massacre à la Tronçonneuse à Mad Max, la censure a souvent eu l’effet inverse de ce qu’elle envisageait dans un soucis de protection des têtes blondes. Ceux qui le verront enfin se retrouveront face à une œuvre éprise de liberté, où la limite horrifique n’est pas perceptible. La plupart resteront sûrement de marbre face à ce personnage grotesque mais tellement imprévisible. Les fans devraient apprécier et reconnaître en Damien Leone un nouveau représentant du genre. S’il s’est déjà fait un nom chez les cinéphiles amateurs de gore, c’est que son parcours montre une véritable appétence, voire une obsession pour le personnage du clown. Dans The 9th Circle, All Hallows’ Eve, ou le court-métrage Terrifier, Art est déjà là dans un look plus ou moins identique et définitif. Damien Leone semble avoir travaillé son boogeyman depuis des années, attendant patiemment qu’il soit accepté dans la shortlist des personnages iconiques de l’horreur. A l’instar de Freddy Krueger, Michael Myers ou Jason Voorhees, Art est définitivement impossible à détruire et reviendra tant que le public sera ravi de le revoir. Leone semble, lui aussi, impossible à arrêter. La passion qui l’anime l’a conduit à refusé de travailler avec un studio pour ce dernier opus, préférant sûrement garder son âme et la liberté d’aller aussi loin que possible dans ses délires cauchemardesques. Il se paie le luxe d’inviter le légendaire Tom Savini pour une apparition de quelques belles secondes. Le maquilleur, auteur d’effets gore mémorables (Zombie, Vendredi 13, Maniac), a sûrement trouvé en ce jeune trublion une descendance qui rassure pour l’avenir de la profession et du slasher (même si Art ne se refuse pas d’utiliser des armes à feu, voire même une tronçonneuse). Les effets de tranchage de membres, d’explosion de tête, d’éviscération, d’écorchement, sont terriblement efficaces, et Damien Leone, à l’inverse de son mime marteau, est loin d’avoir dit son dernier mot.
Sorti le 9 octobre 2024
Quand vient l’automne
Quand vient l’automne, les arbres se colorent de tons jaune, orange et rouge. En cette saison, les champignons sortent de terre, mais le moral des gens baisse parfois face à la grisaille du ciel. Avant l’hiver, la mort rôde déjà pour emporter les personnes les plus fragiles. Et si l’automne était aussi la saison qui inspire le crime? Michelle, une vieille dame fringante, passe des jours paisibles et monotones, seule dans sa maison située dans une petit village de Bourgogne. Elle partage de bons moments avec sa copine et complice de longue date Marie-Claude. A l’arrivée de sa fille et de son petit-fils, elle est submergée de bonheur à l’idée de garder ce dernier pendant une semaine de vacances. Mais la tension monte rapidement entre la mère et sa fille Valérie, récemment séparée. Alors que Michelle et son petit-fils Lucas reviennent de balade, Valérie est emmenée à l’hôpital pour cause d’intoxication. Le poêlée de champignons de Michelle en serait la cause… Ce drame à la campagne selon Ozon distille avec subtilité des ingrédients assez singuliers pour nous dérouter en permanence. Il sème tour à tour des idées reçues, des non-dits, des relations ambiguës, des cachotteries, joue avec les stéréotypes, les codes du polar, pour mieux nous cueillir et nous cuisiner. Il en résulte un savoureux thriller où la nature des uns va se confronter à la parole des autres, où la vérité ne sera pas toujours bonne à dire, afin de préserver un équilibre précaire mais stable. Ozon, comme à son accoutumée, nous offre des personnages féminins marquants (Hélène Vincent, Josiane Balasko, Ludivine Sagnier). Le casting masculin n’est pas en reste : Pierre Lottin, Malik Zidi et le jeune Garlan Erlos apportent eux aussi leur part de trouble dans cette histoire avant tout humaine, où les choix de vie lointains pèsent souvent plus lourd qu’un drame du présent, et où la chance de vivre ensemble dépasse de loin la volonté de justice. Quand vient l’automne, il fait bon d’aller au cinéma.
Sorti le 2 octobre 2024
Drone
Premier long-métrage de Simon Bouisson, Drone a toutes les qualités (et peu de défauts) du thriller dont l’idée simple de départ tient bien la route, est assumée de bout en bout et parvient à surprendre. L’histoire de cette jeune femme, Emilie (campée par Marion En Corps Barbeau), étudiante en architecture qui se voit soudain épiée par un drone inquiétant et silencieux (dans la rue, devant sa fenêtre…), est suffisamment intrigante pour se laisser porter. Véritable sujet polémique, cette technologie récente, utilisée autant pour la surveillance de masse (appelons cela protection civile…) que pour lâcher des bombes sur des cibles (plus ou moins) précises, devient ici un personnage à part entière. C’est le premier atout de ce film qui parvient à faire passer des émotions diverses à l’objet volant. Face à lui, Marion Barbeau prouve qu’elle n’est pas qu’une danseuse, et son jeu instinctif et animal rend les situations très crédibles. Le rapport qu’Emilie entretient avec la machine débute par l’inquiétude, évolue en une sorte de confiance, un sentiment de protection voire même une relation charnelle ambigüe. Des thématiques annexes comme le voyeurisme, l’exhibition, le rapport entre humain et machine, viennent rehausser le film sans tomber dans les clichés féministes ou complotistes. Drone est une preuve supplémentaire d’un cinéma de genre français qui parvient à suivre une trame initiale sans avoir besoin d’appesantir son propos par un sous-texte social ou politique.
Sorti le 2 octobre 2024
SEPTEMBRE 2024
Megalopolis
Autant certains films permettent d’être appréciés selon des nuances ou des notes assez variées, autant certains divisent de manière assez binaire, à grand renfort de j’aime/j’aime pas. Mégalopolis est de ceux-là. Lorsque l’ambition devient prétention, que l’histoire d’un personnage renvoie de manière évidente à son créateur, que le message visionnaire est désuet, et que la métaphore politique de la chute de l’Empire romain pour parler de l’Amérique (voire du Monde) est si ostentatoire, comment apprécier ce qui nous est servi? L’intention est indigeste, la grandiloquence côtoie la vulgarité, l’utopie annoncée est criarde et naïve. Décidément, l’année 2024 livre un triste constat. Les derniers millésimes de ces “géants” de Hollywood que sont Eastwood, Coppola ou Ridley Scott font peine à voir. La démesure survoltée pour les uns, le classicisme paresseux pour les autres, voire un mélange des deux, ces œuvres résultent de créateurs soudain dépassés par leur temps, semblant vouloir raconter une époque révolue ou fantasmée. C’est un triste constat, heureusement compensé par une nouvelle garde de réalisateurs/réalisatrices bien déterminés à prendre le relai face à cette chute du cinéma américain.
Sorti le 25 septembre 2024
Tatami
Le cinéma iranien s’est fait une belle place sur nos écrans ces dernières années. Pour les cinéphiles ouverts à des horizons lointains, ils ont pu découvrir quelques joyaux réalisés par Saeed Roustaee ou Asghar Farhadi. Premier film de Zar Amir Ebrahimi co-réalisé avec Guy Nattiv, Tatami, au-delà de son esthétique noir et blanc qui met en lumière de façon magistrale ses interprètes et son histoire, impressionne par son audace et son opposition ouverte au régime iranien. Les personnages de la judokate Leila et son entraîneuse Maryam sont fictifs mais inspirés de plusieurs athlètes réelles qui ont osé braver les interdits et ont été obligées de fuir l’Iran et son régime oppressant. Lors des championnats du monde de Judo, Leila, en grande forme, peut espérer remporter la médaille d’or pour son pays. Mais alors qu’elle bat ses adversaires lors des premiers tours, elle est intimée de simuler une blessure afin d’éviter d’avoir à affronter une adversaire israélienne en finale. Le combat le plus féroce aura lieu hors du tatami, à travers des échanges téléphoniques de dirigeants toujours hors champ, invisibles à nos yeux (ce qui renforce leur caractère inquiétant) et la pression de membres du gouvernement présents sur les lieux. Entre la championne et son entraîneuse, ce sont deux générations de femmes qui vont devoir faire leurs plus grands choix, au péril de leur vie et de celles de leurs familles. Accepter leur sort ou désobéir. Mensonges, non-dits, droits des femmes, autoritarisme, violence systémique, libertés élémentaires, torture… Le film aborde de nombreux thèmes et dresse un portrait peu glorieux de la République Islamique d’Iran. L’exil de nombreux artistes (dont Zar Amir Ebrahimi en France) rend possible la création d’œuvre comme Tatami loin de leur terre d’origine. Le symbole fort qu’est cette co-réalisation par une iranienne et un israélien renforce encore sa dimension hautement politique, et porte sur ses épaules un message lourd de sens. Tandis qu’au Moyen-Orient, l’Iran est bel et bien un acteur loin d’être secondaire dans la guerre entre Israël et la Palestine, il ne manque pas grand chose pour qu’il accentue son rôle dans une escalade de violence qu’il pourrait être difficile de tempérer longuement. Lorsque la négociation ne va que dans un sens et que la diplomatie n’est qu’un leurre, il est rare que la fin puisse être heureuse. L’Histoire nous le dira.
Sorti le 4 septembre 2024
AOÛT 2024
La Nuit se traîne
Premier long-métrage de Michiel Blanchart, remarqué pour le court T’es morte Hélène (2020), La Nuit se traîne nous entraîne durant quelques heures dans une course haletante à travers les rues de Bruxelles où l’on suit Mady, jeune serrurier sans histoire (ou si peu), qui se retrouve piégé dans une aventure glauque qui le dépasse. En quelques minutes, il va devoir tuer un homme pour sauver sa peau, se faire kidnapper et torturer, frôlant la mort de peu. Pour s’en sortir, il va devoir faire sa propre enquête et convaincre un dangereux malfrat (Romain Duris) de son innocence. Ces quelques heures vont être intenses pour lui et pour nous aussi, heureux spectateurs d’un film qui ne traîne pas et qui assume de bout en bout un scénario linéaire simple semé de moments forts totalement maîtrisés. Les scènes de dialogues ou d’échanges musclés permettent à de nombreux personnages de révéler des facettes nuancées. La Nuit se traîne, sans être un film d’action, un film social ni un véritable polar, parvient à éviter les poncifs de genres parfois trop marqués, pour se concentrer sur son histoire et offrir avec un budget qu’on devine modeste un spectacle qui déborde de passion et qui offre quelques plans aériens assez surprenants. Le clin d’oeil à Evil Dead dans une scène révèle évidemment une des influences du jeune cinéaste belge. Sam Raimi l’a déjà repéré et devrait produire son prochain métrage. Rien que ça! Nous aussi on l’a repéré, et on va tâcher de le suivre à la trace.
Sorti le 28 août 2024
Emilia Perez
Il n’y a pas de doute, Emilia Perez de Jacques Audiard ne laissera pas indifférents les spectateurs qui oseront s’aventurer dans ce qu’on peut appeler un ovni dans la carrière du réalisateur. Sa quête de renouvellement permanent lui permet sans doute de ne pas s’enfermer dans un style ou un genre, mais peut évidemment dérouter. Un polar musical et chanté est déjà une audace en soi. Traiter la question du transgenre en est une autre. Le film cumule ainsi des prises de risque parfois réussies, parfois moins, tant dans la mise en scène que dans son écriture. Il surprend, irrite, émeut, éprouve, énerve, séduit, alternant ainsi des sentiments contradictoires à son égard. Certains films sont incapables de provoquer la moindre émotion, on ne va pas bouder notre plaisir, même s’il n’est pas toujours confortable.
Sorti le 21 août 2024
Alien Romulus
Faut-il ranger Alien Romulus dans la saga officielle Alien? Ou le considérer comme un spin-off, un bon épisode en dérive dans l’univers, à l’instar d’un Rogue One vs Star Wars et ses 9 épisodes. Il serait déplacé de le comparer à un Alien vs Predator, monstrueuses et opportunistes initiatives d’un autre temps. On le rangerait plus facilement au rayon Prometheus et Alien Covenant. Venu se loger chronologiquement (effrontément?) entre Alien et Aliens, cet opus a une saveur assez respectueuse et une texture suffisamment granuleuse pour titiller l’amateur de Xenomorphes, même celui de la première heure. Deux camps de fans s’opposent pourtant déjà, trop jeunes ou trop vieux pour se souvenir que chaque nouvel épisode après le film de Ridley Scott avait fait coulé beaucoup d’encre parfois acide. “Aliens c’est bourrin et pas subtil”, “Alien3 n’apporte rien”… Le temps, toujours lui, parlera sans doute pour Alien Romulus, qui sans être parfait, a le mérite d’oser proposer des idées nouvelles. Le réalisateur Fede Álvarez (Don’t breathe, le remake d’Evil Dead) ne réinvente ni ne développe la mythologie plus que cela, mais exploite son ADN de façon scolaire (l’horreur organique, l’androïde, le huis-clos) tout en la marquant de son style (des scènes bien sanglantes). Fort heureusement, Ripley n’apparait pas dans l’histoire pour un quelconque prétexte fumeux. En revanche, un personnage bien connu de l’original (voire deux), en très mauvais état, est bien présent et sert de lien pour tisser ce nouvel épisode.
Si Alien reste une des sagas les plus appréciées du 7ème art, elle n’en est pas moins fragilisée par des tentatives pas toujours assumées. Prometheus ouvrait un champ des possibles tellement vaste, qu’Alien Covenant avait à moitié brisé. Alien Romulus nous offre un voyage dans le temps et dans l’espace peut-être moins surprenant mais pourtant très confortable, parsemé de quelques secousses bien cauchemardesques.
Sorti le 14 août 2024
City of Darkness
Le titre du film illustre bien la filmographie récente de Soi Cheang. Le réalisateur hong-kongais, aussi à l’aise dans le thriller (Dog bite dog, Accident) que dans l’action (Motorway, Kill Zone 2) affirme avec ses derniers films urbains un attrait pour la noirceur assez notable. A travers son oeil, Hong-Kong dévoile une crasse et un désordre rarement vus. Limbo exploitait le noir et blanc et en accentuait encore s’il le fallait les recoins les plus sombres. City of Darkness relate une page d’histoire pas si lointaine de la ville où un quartier nommé la Citadelle de Kowloon fut, jusqu’au début des années 1990, un territoire à part. Les bâtiments construits sans règles ni architectes, ont formé au fil des ans un enchevêtrement tel que la lumière du soleil n’atteignait que les étages les plus hauts. Soi Cheang trouve dans ce décor idéal recréé pour les besoins du film une belle occasion de s’amuser avec sa caméra nerveuse. Lorsque le migrant clandestin Chan Lok-kwun s’y aventure afin de sauver sa peau, il va raviver le conflit historique entre deux camps mafieux. Prétexte à des combats bien bourrins où les protagonistes se servent autant de leurs poings et pieds que d’armes blanches et d’armes à feu, City of Darkness n’oublie pas de montrer la complexité de la ville qu’il dépeint, située dans une région d’abord chinoise, puis colonisée par le Royaume-Uni, et un temps occupée par le Japon… L’origine et la quête d’identité du personnage principal traduisent bien cette complexité, mais le film n’oublie pas qu’il s’adresse aux amateurs d’action avant tout, et c’est bien là qu’il excelle, laissant libre court aux acteurs cascadeurs de s’en donner à cœur joie et à bâtons bien rompus.
Sorti le 14 août 2024
JUILLET 2024
Maxxxine
1985. Maxine Minx, seule rescapée du carnage qui a eu lieu pendant le tournage avec sa bande d’amis d’un porno à la ferme, a désormais la conviction que son statut de star doit éclater au grand jour. Finis les films pour adultes, Maxine vise le cinéma “normal” pour devenir célèbre et rien ne pourrait l’en empêcher, quitte à commencer, comme de nombreuses comédiennes avant elle, par un film d’horreur… Mais quelques obstacles semblent se dresser sur son chemin. Engagée dans un projet en réalité ambitieux, elle est questionnée par la police sur la disparition inquiétante de plusieurs de ses amies. Un tueur, nommé le Traqueur de la Nuit (The Night Stalker), assassine à l’arme blanche des jeunes femmes. Maxine pourrait-elle être la prochaine victime, ou pire, être coupable de ces meurtres? Poursuivie par un mystérieux détective privé qui la menace de révéler son passé, elle va devoir se défendre plus que jamais pour accomplir son rêve. Maxxxine, troisième volet de la trilogie de Ti West avec Mia Goth, est une conclusion magnétique de cette histoire commencée avec X puis Pearl. Si on pouvait s’attendre à une folie furieuse en guise de final, Ti West nous offre une ode au cinéma d’horreur qu’il affectionne tant, en nous plongeant dans les coulisses de Hollywood et dans une esthétique qui rend hommage à plusieurs maîtres du genre. Hitchcock, De Palma, Argento, Ferrara… sont conviés de manière plus ou moins évidente pour cohabiter dans un film généreux, à l’esprit 1980 indéniable.
Maxxxine enfonce le clou et confirme que cette trilogie est avant-tout une déclaration d’amour au cinéma dans sa globalité (de ses débuts à aujourd’hui), au rêve hollywoodien qui ne l’est pas resté longtemps, se transformant très tôt en un cauchemar palpable. Pour les femmes en particulier, victimes idéales tant d’un système de production que de psychopathes sur l’écran (Psychose, Halloween,…). Ti West, à travers sa filmographie déjà riche, mérite une reconnaissance par un public plus large désormais. Les amateurs d’une certaine tradition de l’horreur ayant depuis longtemps reconnu en lui un digne descendant de Tobe Hooper.
Sorti le 31 juillet 2024
Deadpool & Wolverine
Cette rencontre au sommet entre deux personnages iconiques de Marvel était très attendu et son succès est incontestable. Le capital sympathie respectif de Hugh Jackman et Ryan Reynolds suffirait presque à lui seul à attirer les foules. Si le scénario ne brille pas par son originalité débordante, il est dommage que le film navigue péniblement entre deux eaux. Ni suffisamment délirant, ni suffisamment incisif, il use et abuse de la vulgarité (parfois très efficace) de Deadpool pour décocher quelques sourires. L’autodérision dont fait preuve Marvel montre que le studio garde une part d’humanité. Dans cette histoire où le statut des héros est questionné à travers des séquences parfois trop bavardes, heureusement certains moments plus décomplexés dans le film l’aident à atteindre un esprit BD salvateur dont beaucoup de films Marvel, devenus trop sérieux, manquaient ces dernières années. L’invité Wolverine reste plus connu des foules que son acolyte grâce à plus de vingt ans d’exercice au sein de la franchise X-Men. Son costume jaune ravive les souvenirs des plus anciens et quelques plans ça et là rendent hommage à des couvertures historiques qui titillera quelques lecteurs de comics observateurs.
Sorti le 24 juillet 2024
Napoléon vu par Abel Gance
A l’instar de ses autres œuvres phares J’accuse et La Roue, Abel Gance réalisa plusieurs versions de son monumental Napoléon après sa première exploitation en 1927. Au fil du temps, le film initialement muet mais sonore revoit le jour sous des montages de différentes durées, se voit doté de dialogues, de couleurs. Eternel insatisfait ou perfectionniste? Toujours est-il que de son vivant et même après sa mort, plusieurs restaurations auront lieu, et Napoléon comptabilise pas loin de 20 versions très inégales. Cette (ultime?) restauration se veut définitive, fruit d’un travail d’expertise titanesque de Georges Mourier commandé par la Cinémathèque française.
Désormais en deux parties totalisant plus de 7 heures de métrage, Napoléon vu par Abel Gance est enfin visible dans une version nettoyée, gratifiée d’une nouvelle partition musicale.
Voir un film muet de près de 100 ans dans une salle de cinéma en 2024 reste une expérience peu commode, et avec Napoléon on peut parler de véritable évènement (relatif en termes de succès, au vu des 5000 spectateurs cumulés en France cet été!). Les images en noir et blanc, parfois colorisées, font faire un saut dans le temps indéniable et provoquent un effet tout autre que la version récente de Ridley Scott par exemple. Le travail de composition des plans, souvent fixes, sans paroles ni sons d’ambiance, rapproche ce cinéma des débuts d’autres arts nobles comme la peinture. Dans ces images, les styles abondent : symbolisme, classicisme, surréalisme, impressionnisme, tableaux guerriers, marines. On ne se lasse pas de voir ces images en mouvement donner vie à un personnage si iconique, à la fois glorifié mais aussi représenté comme un être humain à part entière. Tour à tour amoureux (de sa Corse, de sa famille, de Joséphine), résistant, courageux, intrépide, stratège,… Napoléon, campé par Albert Dieudonné, est plus vrai que nature.
Le noir et blanc saccadé agit dans notre inconscient comme des images d’archives dans lesquelles on peut plonger dans l’Histoire sans douter de leur véracité, bien moins qu’une peinture réalisée en son temps par un grand maître, commande à la gloire de son modèle, trop belle pour être vraie. Le personnage Napoléon de Gance souffre, est moqué, frôle la mort. La période de sa vie que le réalisateur nous livre en 7 heures représente 15 années à peine du futur empereur. 7 heures durant lesquelles les audaces filmiques et techniques sont légions : caméra à l’épaule ou à dos de cheval, surimpressions, triplement d’images qui nous offre un panoramique avant l’heure et qui rapproche un peu plus le film de l’expérimental.
Le cinématographe, ce nouveau langage d’à peine 30 ans à l’époque, était une toile vierge à explorer et à inventer. Comme un artiste insatisfait, Abel Gance repousse les limites matérielles toujours plus loin. 7 heures qui devaient n’être que les premières d’un projet titanesque de plusieurs chapitres (il tournera tout de même Austerlitz avec Pierre Mondy à la fin des années 1950). Napoléon est un chef-d’œuvre, il est coutume de le dire, qui n’évite pas des moments d’ennuis, de longueurs. Mais à ce stade, toutes les secondes, minutes offertes représentent un tel travail de recherche et une telle passion qu’il serait indélicat de s’en plaindre. Il est à coup sûr une pierre angulaire dans l’histoire du cinéma, dans la mesure où Gance a imprimé sur pellicule des images inédites, ambitieuses, qui ont influencé ses pairs et fait avancer à grands pas le 7e art. Un cinéma d’une autre époque certes, mais sacrément en avance sur son temps…
Sorti le 10 juillet 2024
Horizon
Lorsque Danse avec les Loups sortit en 1990, on souligna l’audace, voire la folie de Kevin Costner de signer un western, long de 3h, tourné en langue Lakota. Récompensé par 7 Oscars et un énorme succès, le film ressortira même dans une version de 4h, que les fans s’empresseront d’aller voir pour plus de plaisir encore. Depuis, Costner a atteint le statut d’acteur star, mais la réalisation s’est finalement faite rare dans sa carrière. Horizon marque son grand retour, avec un projet en plusieurs parties qui devrait cumuler les 10-12h. Cette saga ambitionne de raconter, sous formes de chroniques, une période de 15 ans autour de la Guerre de Sécession. Ce premier opus de 3h nous présente pas moins de 20 personnages plus ou moins importants, sur plusieurs unités de lieu, permettant à Costner de raconter une Amérique encore naissante. Dans les premières minutes du film, en 1859, un géomètre vient planter, dans un décor vierge de toute civilisation, les repères d’une maison. On devine que le lieu deviendra village, puis ville… Mais l’homme n’a pas le temps de finir sa besogne qu’il se fait tuer. Malgré le sang versé par les indigènes qui voient dans cette installation un affront, nous savons déjà que des colons vont revenir de plus en plus nombreux. Des états vont naître, s’unir, se désunir et finir par former un des pays les plus puissants du monde. Le western nous a souvent montré ces « cow-boys » et ces « indiens » déjà ennemis, ces villages avec saloon et shérif déjà bien en place. Costner semble vouloir comprendre comment son pays s’est construit, pourquoi de cette manière aussi terrible plutôt que d’une autre. Horizon est le nom d’une future ville, un lieu rêvé à bâtir qui attire déjà les foules, prêtes à tout quitter et à parfois risquer leur vie (et à tuer) dans un parcours éprouvant, à travers un territoire hostile. La violence est déjà omniprésente. Hommes, femmes, enfants semblent n’avoir d’autre choix que celui des armes pour gagner leur place.
La venue régulière des “yeux blancs” sur ces terres “promises” crée rapidement la division non seulement au sein du peuple indien, opposant ceux qui y voient un danger évident des sages qui préfèrent imaginer une entente possible, mais aussi parmi les blancs déjà sur place. Costner se place en tant que personnage central dans cette histoire des Etats-Unis. Union d’états qui se fait dans le sang, entre des gens déjà divisés, trop différents pour s’accorder et créer un nouveau monde harmonieux. En réalité, Hayes Ellison est aussi central que beaucoup d’autres personnages, autant de figures archétypales du western et de la société en général. Les bons, les brutes, les truands bien sûr mais aussi les travailleurs, les artistes, les prostituées, les militaires, les femmes, les enfants, les chevaux… vont défiler dans des tableaux mêlant la grande et les petites histoires. Toutes ces graines d’humains sont semées pour pouvoir explorer toutes les facettes, bonnes et mauvaises, de cette Amérique que l’on sait complexe.
Ce chapitre 1 d’Horizon, une saga américaine pose des jalons solides mais pourtant fragilisés par un insuccès terrible au box-office américain comme français. Des personnages solides, une reconstitution historique ambitieuse, des paysages magnifiés ne suffisent plus. Est-ce le classicisme du film, son côté feuilleton au spectre trop large qui n’ont pas convaincu? Peut-être trop sage dans sa mise en scène, espérons que le chapitre 2 saura répondre à des attentes légitimes dans l’évolution de l’histoire et ses personnages, exposés peut-être trop longuement dans ce film inaugural. Mais rien n’est moins sûr. Comme pour une série, l’épisode pilote doit souvent en mettre plein la vue et cherche souvent la facilité. Mais ce n’est pas dans les habitudes de Costner de choisir le chemin le plus simple, surtout en tant que réalisateur. Une partie de sa fortune personnelle va y passer mais on peut parier que sa foi dans le grand cinéma restera intacte.
Sorti le 3 juillet 2024
JUIN 2024
Le Comte de Monte-Cristo
Après le succès (mérité) des Trois Mousquetaires, l’adaptation de cette autre figure célèbre de l’œuvre d’Alexandre Dumas pourrait être considérée comme opportuniste. C’est peut-être l’occasion pour le cinéma français de se réapproprier un patrimoine littéraire que les américains avaient accaparé depuis fort longtemps. Le Comte de Monte-Cristo, roman feuilletonenesque historique que tout le monde ou presque connaît (mais qu’on est peu nombreux à avoir lu les près de 2000 pages), s’impose comme un joli succès dans les salles en 2024. A l’heure des super-héros et des sagas de science-fiction, il est étonnant, et rassurant, que le public réponde présent face à cette histoire datant de près de deux siècles. Ses thématiques résonnent de manière très contemporaine, car universelles et inaltérables : la corruption, la trahison, la vengeance, la justice.
Le personnage d’Edmond Dantès, romantique au possible dans les premiers temps, sera emprisonné malgré lui pour une histoire de lettre trouvée sur lui, et devient dès lors une figure tragique. Sa résolution (et le hasard d’une rencontre heureuse dans son malheur) le métamorphose peu à peu en héros, usant d’ingéniosité, d’artifices et de complices (la richesse lui permettant tous les excès).
Le film manifeste de nombreux atouts. Une mise en scène classique mais inspirée, un casting très solide de premiers et seconds rôles, et un scénario à la fois respectueux et épris de liberté qui fait honneur au texte de Dumas. Pierre Niney, adulé par les uns, insupportable pour les autres, est littéralement habité par son rôle protéiforme. Derrière ses divers masques, l’acteur use de son physique et de sa voix pour rendre crédible des personnages de différents âges, de différentes corpulences et force le respect. Ses compagnons de jeu lui rendent la pareille, et cette osmose générale se ressent de bout en bout, faisant passer les près de 3h de métrage… comme une lettre à la Poste.
Sorti le 28 juin 2024
The Bikeriders
Inspiré des écrits et photographies en noir et blanc de Danny Lyon publiés dans un livre éponyme en 1967, The Bikeriders est un retour vers le passé qui sent bon le cuir, l’huile moteur, la bière et la cigarette. Une virée à moto entre hommes, où les femmes n’ont pas trop leur mot à dire. Le film raconte l’histoire vraie d’un groupe de motards, The Vandals, épris de liberté, d’amitié et de poings dans la gueule, qui entre deux équipées sauvages, se retrouvent au bar ou autour d’un pique-nique arrosé. Au fil des ans, le groupe, mené par le leader Johnny (Tom Hardy), va grandir et perdre de ce qui faisait son essence et sa solidité. Si le film ne fait pas un éloge outre mesure de cet art de vivre, il dévoile un quotidien plutôt réaliste. Mais à vouloir être trop ancré dans la réalité, il en montre les moments ennuyants, beaufs et un peu limités aussi. A grands renforts de tube de blues et de rock’n roll, The Bikeriders sent tout de même un peu trop la poussière et manque un peu de modernité dans son traitement.
Sorti le 19 juin 2024
Vice Versa 2
Vice Versa deuxième du nom revient avec son lot d’émotions nouvelles pour nous et pour Riley, le personnage déjeune fille devenue adolescente. Que se passe-t-il dans la tête et dans le corps d’un(e) adolescent(e) pour que du jour au lendemain (ou presque), son caractère change, ses humeurs ne soient plus contrôlables, et que ses sentiments soient aussi chamboulés? C’est dans ce film d’animation à fleur de peau que parents et grands enfants trouveront peut-être quelques réponses. Ou en tout cas auront une occasion de visualiser comment trop d’émotions, dans un être encore trop étroit, doivent soudainement cohabiter, quitte à s’imposer parfois sans crier gare. « Il était une fois la puberté » pourrait être le sous-titre de Vice Versa 2, car il parvient à être aussi utile que ludique, et on en sort avec un sentiment qu’il peut peut-être parvenir à réconcilier certains ados avec leurs parents. Ces adultes « exemplaires » qui ont oublié qu’ils avaient été ados un jour aussi.
Sorti le 19 juin 2024
Love Lies Bleeding
Après Sainte Maud qui lorgnait clairement du côté du fantastique, Rose Glass précise avec Love Lies Bleeding une appétence pour le film de genre, et même pour le mélange des genres. Polar sombre, romance solaire, drame social, histoire de famille tordue, le film est multiple, aussi tendre que musclé. Comme pour éviter d’être trop vite catégorisé. Jusqu’à la fin, insolite, inattendue, touche de fantastique à l’ancienne qui nous fait quitter la rationalité pendant quelques instants pour brouiller encore un peu plus nos sens.
Sorti le 12 juin 2024
Les Guetteurs
Comme son nom l’indique, Ishana Shyamalan est bien la fille de son père. Auteur à succès de quelques très bons films, celui-ci est malheureusement le triste exemple de recettes/concepts ayant donné des résultats très moyens par la suite. Il n’empêche que le sieur a tout de même su se remettre en cause suite à plusieurs ratages. Après des études de mise en scène, Ishana fait ses armes chez son père et il est clair que dès ce premier long-métrage, elle a intégré les aspects techniques, efficaces et artistiques de son père. Malheureusement, ne fait pas Le 6e Sens qui veut, et Les Guetteurs tient trop du concept attendu et sans surprise pour qu’on en sorte satisfaits. Il ne tient qu’à cette réalisatrice de couper le cordon, à l’instar d’un Brandon Cronenberg par exemple, et d’affirmer une personnalité propre, afin de s’envoler de ses propres ailes.
Sorti le 12 juin 2024
MAI 2024
Furiosa, une saga Mad Max
L’attente aura été longue entre Fury Road et cette nouvelle saga qui nous dévoile la jeunesse de Furiosa, ce personnage féminin devenu rapidement emblématique dans l’univers très masculin de Mad Max. 9 ans pendant lesquels George Miller aura d’abord pris le soin de réaliser une œuvre plus intimiste (Trois Mille ans à t’attendre) avant de remettre de l’essence dans le développement de sa mythologie. Le résultat est très plaisant d’un point de vue de l’histoire qu’il nous propose, celle d’une jeune fille ayant grandi dans une communauté sur un lieu d’abondance (La Terre Verte), et qui va en être arrachée par une horde de motards sauvages. Elle va tomber dans les griffes de leur chef, Dementus, qui va se montrer sans pitié et faire naître chez la jeune fille un sentiment de vengeance qui ne la quittera jamais. En nous livrant de nouveaux personnages, en explorant de nouveaux lieux, George Miller prouve ô combien son wasteland australien dystopique est étendu, et extensible presque indéfiniment. Ce monde est un empire déjà dévasté, et sa chute ne fait nul doute. La quête de pouvoir et de domination reste un moteur pour les plus cruels, et la remise en question n’aura plus jamais lieu d’être puisque le destin entamé est irréversible. La critique unanime et la standing ovation à Cannes avaient de quoi rassurer avant même de se rendre à la séance. Mais pour certains, la bande-annonce boostée aux images de synthèse avaient laissé quelques taches d’huile sur la rétine. Il faut bien l’avouer, c’est malheureusement décevant de constater que le film est bâclé d’un point de vue visuel. Capable de nous offrir des scènes fabuleuses où l’action et les cascades impressionnantes sont bien au rendez-vous, Furiosa: une saga Mad Max déverse aussi son lot de plans qui sonnent faux, parfois dignes de séries B fauchées ou d’un Marvel paresseux. Les possibilités techniques actuelles permettent de démultiplier le nombre de « figurants » à l’écran, réduire la prise de risque de cascadeurs. Pour ce dernier point c’est louable certes mais c’est clairement ce qui faisait l’essence même de la saga. Voir un personnage brûler avec du feu en 3D ou des centaines de personnages bouger comme dans un jeu vidéo, cela réduit l’immersion dans le film et la crédibilité qu’on lui attribue. L’émotion et la violence attendues sont amenuisées elles aussi. Lorsque le générique de fin défile et qu’on peut y lire « AI Special Effects », on ne peut s’empêcher de penser que cette intelligence-là n’est pas celle que l’on souhaite. On peut imaginer que Miller doit être conscient que l’AI ne peut qu’accélérer la mutation de notre monde vers l’apocalypse qu’il nous a annoncée dès le premier Mad Max. Elle pourra peut-être même lui permettre de générer plusieurs Mad Max avant de franchir les portes du Valhalla. On ne boudera pourtant pas le plaisir qu’on éprouve devant ce spectacle qui donne ses lettres de noblesse à l’action totale et n’oublie pas d’être critique et pertinent dans les propos qu’il développe. Vivement la prochaine apocalypse. Sorti le 22 mai 2024
When Evil lurks
Possession diabolique, mutation de la personne, passage d’un corps à un autre, épidémie…,When Evil lurks recycle quelques thématiques bien connues du fantastique et de l’horreur mais n’oublie pas d’affirmer une identité propre. Demián Rugna démontre de vraies qualités de mise en scène froide et terrifiante, jouant avec nos nerfs et nos attentes. Il le sait bien, les forces invisibles restent les plus glaçantes, prenant corps et âme de leur hôte malgré lui, révélant une apparence trompeuse sans jamais dévoiler sa forme véritable. L’entité reste alors dans notre souvenir, suffisamment vague pour pouvoir revenir sous la forme d’un cauchemar supplémentaire, aux côtés des visions antérieures de notre cinéphilie.
Sorti le 15 mai 2024
Les Trois Fantastiques
Egalement acteur, Michaël Dichter signe avec Les Trois Fantastiques un premier long-métrage d’une belle maîtrise. Prolongeant l’histoire de son court Pollux datant de 2018, il conserve et développe ses personnages principaux pour raconter les 400 coups de trois potes de collège, Max, Vivian et Tom, guidés par un seul objectif, trouver l’argent nécessaire pour partir ensemble en colonie de vacances. La fin de l’année scolaire approchant, il leur reste peu de temps pour y parvenir. Le retour à la maison du grand frère de Max après un séjour en prison va chambouler le noyau familial, l’amitié du trio et faire basculer le destin de tout ce petit monde dans une zone dangereuse. Le film réussit sa partie aventures de copains évitant, malgré les balades à vélo, la comparaison avec les productions Spielberg, et surtout, la mièvrerie des comédies françaises du type Ducobu. Le ton réaliste du film, sur fond social bien marqué, entraîne le spectateur dans des émotions nombreuses. Dichter, s’inspirant de sa propre adolescence, alterne les moments d’humour, de complicité, de tension et même de frousse avec une fluidité admirable. Dans le rôle du grand frère, Raphaël Quesnard prouve encore sa capacité à développer des personnages sur la corde. Face à lui, les trois jeunes comédiens débordent de sincérité et leurs personnages vont malgré eux voir leur nature transformée et grandir plus vite que prévu. Un passage en force vers l’âge adulte marquant, dommageable, qui ne laissera personne, ni leur insouciance, indemne. Sorti le 15 mai 2024
Comme un lundi
A la fois huis clos et boucle temporelle, Comme un lundi, au vue de sa bande-annonce très drôle, se devait d’être suffisamment malin et dynamique pour rivaliser avec des modèles tels que Un jour sans fin, Happy Birthdead. Le concept de la semaine qui se répète est assez rapidement maîtrisé et laisse place à des situations plutôt originales où le comique l’emporte souvent. Ryo Takebayashi cite d’ailleurs ses aînés via les dialogues de ses personnages, des collègues travaillant au sein de la même agence de pub. Comme toujours dans ce genre d’histoire, le but est de parvenir à briser la malédiction et là aussi, on peut dire que l’histoire tient plutôt bien la route sans trop tourner en rond. La progression et le rapport entre les personnages servent un propos qui va réellement changer le regard de chacun sur les autres. Le film atteint tout de même rapidement ses limites, de lieu, de rythme parfois, et manque d’un sens de l’écriture qui aurait pu/dû le rendre plus drôle, plus émouvant. La malédiction de la bande-annonce trop alléchante a encore frappé. Même la scène post générique nous laisse sur notre faim. Comme un lundi reste tout de même un petit film divertissant sans prétention qu’on ne regardera sûrement qu’une fois. Sorti le 8 mai 2024
L’Ombre du Feu
L’Ombre du Feu commence de manière assez troublante. Pendant près d’une demi-heure, on assiste à un huis-clos, un lieu unique au sein duquel vit une jeune femme, recluse. Divers personnages y pénètrent, certains pour y trouver un refuge momentané, d’autres pour y chercher du plaisir. Shin’ya Tsukamoto (Tetsuo, Gemini) laisse d’abord le spectateur dans un flou, sûrement volontaire, de lieu, d’époque, de récit. Plongés dans cet intérieur sombre, on imagine au-dehors une apocalypse récente, un virus, une guerre. On accepte presque naturellement que tout le film situera son action dans ce lieu unique, avec un trio de personnages qui s’est retrouvé là comme pour fuir la réalité. Mais le réalisateur nous bouscule dans nos certitudes, nous entraîne là où il veut, comme bon lui semble, seul maître à bord mais bon guide pour ceux qui sauront patienter dans leur fauteuil que l’histoire se construise à partir de peu de choses. Il nous dévoilera ce qu’il nous a d’abord dissimulé de cet extérieur inquiétant, nous en apprendra sur ses trois protagonistes et même d’autres, pour livrer une histoire intimiste et brutale, où tout est lié, où tout s’interprète, même la violence de chacun. Au final, une universalité se dégage dans ce message où la guerre est la cause de tous les maux, détruisant autant qu’elle rassemble, brisant des destins tout en s’ouvrant sur un peu d’espoir. Dans l’ombre du feu, les cendres d’un monde nouveau attendent de refroidir… Sorti le 1er mai 2024
Border Line
Film au concept simple, qui va rapidement droit au but, à la tension palpable et durable sur la quasi-totalité de sa durée, Border Line est un thriller comme on en voit apparaitre une ou deux fois l’an. Tout comme The Guilty (2018) ou Reality (2023), il a le mérite d’être court et de n’offrir aux amateurs de scénarios efficaces aucun temps mort.
Sorti le 1er mai 2024
The Fall Guy
La légendaire série des années 1980 connue sous le nom non moins légendaire titre L’Homme qui tombe à pic, avec Lee Majors, adaptée 40 plus tard au cinéma. Qui pouvait en rêver? Pas grand monde si? Il en résulte un film à la sympathie non négligeable, qu’on regarde plutôt comme un hommage au métier de cascadeur et au cinéma divertissant. Réalisé par un vétéran du métier, David Leitch (John Wick, Deadpool 2), The Fall Guy a le mérite de respecter son sujet en proposer un grand nombre de cascades réelles et en profite pour battre quelques records au passage (nombre de tonneaux effectués, saut en bateau…). Le défaut du film est d’oublier l’essence de la série originelle, qui déployait plus de décontraction et moins de sérieux, comme beaucoup de séries de cette époque.
Sorti le 1er mai 2024
Jusqu’au bout du Monde
Partant avec quelques handicaps (The Dead Don’t Hurt est traduit en un titre sirupeux, un romantisme un peu trop affiché, une histoire somme toute classique, un manichéisme évident), le western réalisé et interprété par Viggo Mortensen se regarde avec une certain difficulté. Après quelques premiers plans qui augurent pourtant une exploration personnelle du western dans le respect des codes du genre, Jusqu’au bout du Monde nous entraîne doucement et délicatement vers une alternance de moments de grâce et de scènes difficiles. Nous rappelant ô combien cette grande époque du far west baignait dans une violence quotidienne et, sur fond de guerre de sécession, menait les hommes vers un destin qui allait causer des cicatrices collatérales manifestes. Si on gratte quelque peu cet aspect lisse du film, qui raconte en surface une histoire d’amour manquée, on peut lire dans cette femme moderne une métaphore de l’Amérique elle-même, meurtrie de l’intérieur par des hommes et leurs actes, guidés par le pouvoir et l’argent. Un pays où l’honnêteté, les convictions et la poésie sont laissés aux gens normaux et ne provoquent que des blessures et finalement des regrets. Alors qu’une nouvelle ère est possible après cette guerre intestine, une poignée d’hommes décident de s’accaparer les richesses, dans le sang et le mensonge. Mais le message est un peu utopiste et daté pour qu’on ose y croire encore. Sorti le 1er mai 2024
AVRIL 2024
Challengers
Si certains ne voient en Luca Guadagnino que l’auteur de Call me by your Name, d’autres ont pu constater, au fil de ses films, sa volonté de diversifier son cinéma en termes de genres et de formats. Drame, horreur, chronique familiale, documentaire, courts et longs-métrages… le réalisateur italien ne se limite pas à une recette et chacune de ses œuvres démontre une soif d’exploration du genre humain afin d’en montrer les aspects les plus profonds et multiples. Avec Challengers, serait-ce pour lui l’occasion pour lui de nous servir un film de sport, catégorie pas toujours passionnante et plutôt destinée à un public spécifique? L’univers du tennis a donné lieu à quelques métrages ces dernières années, parfois sous forme de biopics, mais reste assez anecdotique car peu cinégénique. En réalité, ce n’est pas ce sport plutôt binaire qui l’intéresse ici mais son trio de personnages. Alors qu’un tournoi assez quelconque s’annonce, deux sportifs que tout semble opposer vont s’affronter pour un match dont les enjeux dépassent de loin la qualité du jeu de chacun. A grands coups de flashbacks qui dévoilent des échanges verbaux et physiques entre Patrick, Art et Tashi ayant eu lieu parfois plus de 10 ans en arrière, la partie gagne en intensité psychologique et révèle une histoire commune qui remonte à l’adolescence. Comment les meilleurs amis du monde ont-ils pu devenir des adversaires impitoyables? Est-ce à cause de cette femme qui les a pris dans ses filets, ou est-ce le tennis qui les a séparés, pour une différence de niveau ou d’ambition? Guadagnino s’amuse avec le cœur et le corps de ses athlètes pour créer des situations de séduction, de tension où tous les coups sont permis. Pour peu que l’on se laisse prendre à ce jeu de l’amour et de la raquette, ces Challengers nous proposent une vision bien moderne des relations humaines. Enlarge your tennis… en quelque sorte. Sorti le 24 avril 2024
Riddle of Fire
Dans notre monde, à la croisée de la réalité, du conte de fées et de la nostalgie, il est une place où les enfants peuvent encore partir à l’aventure en motocross et faire des rencontres heureuses ou inquiétantes, croiser des êtres et des lieux magiques. Un espace libre, presque hors du temps, où la forêt enchantée existe bel et bien, dans laquelle Hazel, Jodie, deux frères, accompagnées d’Alice, vont s’engouffrer pour une quête louable: retrouver l’ingrédient qui leur manque afin de réaliser une tarte pour leur mère souffrante. Et surtout, pour avoir le droit de jouer deux heures à leur nouveau jeu vidéo! Pour son premier film (fauché) tourné en 16 mm, Weston Razooli choisit l’aventure enfantine comme genre plutôt que l’horreur comme certains réalisateurs le font parfois. On pourrait facilement citer comme références les Goonies, le jeu de rôle et la Fantasy des années 80, mais ce serait réduire Riddle of Fire à ce qu’il n’est pas. Razooli puise son imaginaire dans les contes à l’ancienne en n’hésitant pas à les dézinguer à coups de balles de paintball et à les réinterpréter de manière moderne et naturaliste. Les enfants, tous sans père, loin d’être des victimes (et plutôt terribles par moment), deviennent maîtres de leur destin face à des loups, ogres et sorcières revisités. Cette recette savoureuse semble avoir été filmée entre copains tant la complicité, la naïveté et l’audace des situations qui s’en dégagent se passent de calculs scénaristiques ou de mode quelconque. Razooli possède un univers singulier qu’on peut déjà entrevoir dans un court-métrage, Anaxia. Dans une interview, il affirme que c’est la Dark Fantasy et les personnages marquants de vilains (sorcières, pirates…) qui l’attirent, plutôt que l’horreur. Il est alors assez surprenant d’entendre le thème de Cannibal Holocaust à la fin de son film. La musique de Riz Ortolani est en vérité plus un choix musical qu’il affectionne pour bien clore son histoire, qu’une citation de Deodato. Ce sont bien des sorcières qu’il compte mettre en scène dans ses œuvres à venir, et c’est avec une curiosité non dissimulée qu’on découvrira son prochain conte de fées. Sorti le 17 avril 2024
Borgo
Le précédent film de Stéphane Demoustier, La Fille au Bracelet, était un bijou de tension et de suspense. A travers sa réalisation épurée et des acteurs au jeu finement nuancé, cette histoire de procès démontrait un talent indéniable. Borgo confirme l’intérêt que l’on peut porter à cet auteur. Située cette fois dans le milieu carcéral de Corse, cette nouvelle œuvre conte la relation délicate entre prisonniers et surveillants. Fraîchement mutée de Fleury-Mérogis vers une prison de l’Ile de Beauté, Mélissa, une jeune femme discrète mais au caractère plutôt farouche, exerce son métier de gardienne avec autant d’humanité et de droiture que son métier lui permet. Accompagnée de son mari et de leur fille, ils sont tous trois accueillis avec une certaine haine dans le quartier. Depuis la prison, certains détenus vont lui apporter une aide bienvenue, qu’elle appréciera sans trop rechigner. Cette complicité va évoluer en un jeu dangereux où les limites entre vie professionnelle et privée vont être de plus en plus ténues. Porté par les épaules frêles d’Hafsia Herzi, Borgo brille par sa présence solaire et sa performance dans ce personnage complexe de femme instinctive confrontée à un monde dur et violent, avec des codes bien à lui. Sorti le 17 avril 2024
LaRoy
La scène d’ouverture de LaRoy donne le ton du film qui nous attend. L’inquiétude et la tension qui s’en dégagent font penser que le conducteur imprudent qui vient de prendre en stop un homme va passer un mauvais moment (clin d’œil à Hitcher?). L’art des dialogues et le jeu des deux acteurs va transformer ces quelques minutes en un bijou scénaristique. Ce faux-semblant va définir le reste de ce polar noir à l’humour grinçant et ravageur. Certes, les frères Coen ne sont pas loin, la ville et les habitants de LaRoy se situant sur une route sans doute pas très éloignée de Fargo. Mais Shane Atkinson affirme un style et un talent indéniables bien à lui pour créer des personnages mémorables et attachants. L’enchaînement des situations démontre un art jubilatoire pour la complexité et l’évolution de l’histoire vers un dénouement forcément dramatique. Mais dans cette noirceur, son film reste lumineux. Le décor texan et ses décors iconiques (le bar, le motel, le store…) invoquent autant le western que le road movie, la romance, le film chorale et LaRoy s’inscrit aisément dans l’histoire du cinéma de divertissement et d’émotions au pluriel. Sorti le 17 avril 2024
Civil War
Pour ceux qui suivent la carrière d’Alex Garland, Civil War était attendu au tournant avec une crainte non dissimulée. Après l’intimiste Men, huis-clos cérébral qui appuyait durement sur la domination masculine et les dégâts du patriarcat, le voir enchaîner sur une grosse production guerrière avait de quoi laisser dubitatif. Pourtant, avec cette nouvelle œuvre, l’écrivain-scénariste-réalisateur poursuit un sillon assez clair. Civil War montre une fois encore combien l’homme est capable de se déshumaniser dans un but de conquérir toujours plus. Etendre son pouvoir, son territoire, a été, et est toujours, le dessein de nombreux individus, simples citoyens ou politiques. L’actualité récente ne nous contredira aucunement. Garland le Britannique opte (au hasard?) pour les Etats-unis pour établir son champ de bataille.
Choix facile certes. Quel autre pays peut mieux incarner cette soif de domination? En réalité le choix était vaste. Il est terrible de constater comme tout dirigeant parle souvent de son peuple comme d’un seul homme, comme si un peuple était unique et indissociable. C’est ce qui rend le film universel. Le conflit quel le film nous présente évite toute explication inutile. On comprend simplement que le Président, dans une dystopie pas si lointaine, a attisé tant de haine et d’inégalités que deux camps se sont formés et s’affrontent désormais sans merci. Dans ce pays où le deuxième amendement de la Constitution reconnaît « la possibilité pour le peuple américain de constituer une milice (« bien organisée ») pour contribuer « à la sécurité d’un État libre », et garantir en conséquence à tout citoyen américain le droit de détenir des armes », il suffit de presser sur un bouton pour déclencher une bonne guerre. La rivalité Nord/Sud des années 1860 laisse la place à ces bons vieux blocs Est/Ouest qu’on pensait avoir relégués aux années 1980.
Dans sa Civil War, Garland nous invite à suivre une équipe de reporters de guerre, gage de neutralité (logiquement), faisant de nous des témoins en même temps qu’eux. Ce choix de protagonistes plutôt que des militaires nous permet d’être plongés au cœur de l’action, nous évitant de prendre parti pour un camp ou un autre. Des scènes sous haute tension se cumulent, ne laissant de répit qu’entre deux étapes dans cet aller simple vers l’enfer. Ou plutôt vers Washington, lieu de résidence du diable à abattre. Ce road movie, voyage intérieur dans le far west (de Brooklyn à la capitale), nous dévoile les visages nombreux de ce peuple aussi arrogant que passionnant à nos yeux. L’ennemi est partout et nulle part. Ni alien, ni rouge ni noir. Ni juif, ni musulman. Ni terroriste, ni religieux, ni hacker. Ou peut-être tout ça à la fois. Chacun voit ou imagine toujours l’ennemi qu’il souhaite. Tantôt invisible, tantôt aveugle, tantôt concerné, tantôt sourd, il est bien plus facile d’abattre le citoyen au bout du canon que d’aller à sa rencontre. Alex Garland ne délivre aucun message, ne donne aucune leçon. Il ne voit pas plus d’espoir dans les femmes que les hommes d’ailleurs. Il propose simplement la manière dont il perçoit le monde, comme un témoin conscient de son absurdité, comme le spectateur de la chute inévitable de l’humanité.
Sorti le 17 avril 2024
Le Mal n’existe pas
Le village de Mizubiki, près de Tokyo, est un lieu paisible où les habitants vivent en harmonie avec la nature qui les entoure. Lorsqu’une société vient leur présenter un projet de glamping, sorte de camping de luxe destiné aux citadins, une réaction d’opposition est unanime. Takumi, l’homme à tout faire du village, qui connait la forêt, la faune et la flore comme personne, va naturellement servir d’intermédiaire pour ouvrir un dialogue constructif. Résumer Le Mal n’existe pas à sa seule histoire serait réducteur, tant la narration est faite de choix audacieux qu’il faut ressentir pour les apprécier. La lenteur de l’action et la longueur des plans traduisent une volonté de retrouver une normalité dans la manière de raconter le récit, de laisser le temps au spectateur de réfléchir à ce qu’il voit, de faire appel à ses sens, à sa propre conscience et à ses attentes pour mieux le surprendre et l’impliquer. Jusqu’au plan final, l’interprétation est libre, nous laissant une impression de complexité voire de frustration de n’avoir pas toutes les clés. Mais le mystère fait partie intégrante de la Nature. Et quand le cinéma parvient à faire quasi corps avec elle, ça peut devenir aussi magique que le reflet du soleil sur un lac gelé. Sorti le 10 avril 2024
Enys Men
Sur une île inhabitée, une femme se charge tous les jours d’observer des fleurs rares et de notifier dans un carnet quelques relevés. Au fil des jours, c’est le même rituel qui s’enchaîne. La solitude est parfois interrompue par les messages d’un marin qui doit venir la ravitailler bientôt. Un beau jour, une des fleurs montre des signes de maladie. Dès lors, la réalité va se mélanger à la mémoire des lieux et être bousculée par des apparitions et hallucinations plus ou moins inquiétantes, invoquant là le surréalisme, là l’imagerie horrifique. Le film comporte beaucoup d’éléments intéressants, mélangeant le conte et la légende, le passé et le présent, la mémoire et le tangible. Enys Men, avec son grain 16mm ancré dans les années 70, se regarde agréablement mais laisse un goût amer. Des indices sont peu à peu dévoilés, laissant au spectateur la possibilité de comprendre certains mystères. Mais la mise en scène use d’effets un peu trop systématiques et pas toujours subtils pour convaincre totalement. Sorti le 10 avril 2024
Nous, les Leroy
Sandrine Leroy annonce à ses enfants et à son mari Christophe son désir de divorcer, après des années passées ensemble depuis le lycée. Celui-ci, déboussolé, leur propose de partir en week-end pour un périple vers les lieux emblématiques de leur vie. Un road trip en Land Rover, en bus ou à pied, qui fait la belle part à des gags souvent très drôles et à des scènes d’émotions touchantes. Premier long-métrage de Florent Bernard, Nous, les Leroy confirme son talent de scénariste et de dialoguiste (La Flamme, Le Flambeau). S’inspirant en partie de sa propre adolescence, la sincérité qui en dégage fait plaisir à voir. Jouant avec les codes du film de famille, invitant ses potes humoristes à faire partie de cette aventure pour des scènes souvent réussies, Florent Bernard n’évite pas certains écueils. Le film donne parfois l’impression de sketchs mis bout à bout, et si le rythme est plutôt soutenu sur la longueur, on aurait pu espérer une fin plus audacieuse. Mais le plaisir ressenti tout du long à travers cette famille en reconstruction reste. Après ce premier essai dans la comédie dramatique, il sera intéressant de voir la suite du parcours de FloBer vers le genre fantastique. Déjà à l’origine du scénario de l’efficace Vermines, le voilà entraîné, avec le réalisateur Sébastien Vaniček, dans l’aventure américaine pour un nouvel Evil Dead. Sorti le 10 avril 2024
MARS 2024
Immaculée
Passée une introduction un peu racoleuse, Immaculée introduit Cecilia, une jeune religieuse américaine, arrivant en Italie pour rejoindre un couvent situé dans la campagne. Si l’accueil est plus ou moins chaleureux, elle prend rapidement ses marques et se fait des amies au sein de l’établissement. Mais des évènements inquiétants vont se produire, dont le plus incroyable va donner lieu à un véritable miracle: Cecilia va tomber enceinte. Suspiria, Rosemary’s Baby,… Immaculée est imprégné de « déjà vus » qui ne le handicapent pas forcément grâce à un travail soigné de l’image et une intention que l’on sent ambitieuse de la part de son réalisateur Michael Mohan et son actrice montante Sydney Sweeney (Along Came the Devil, Reality…). Fait rare, le film est tourné en italien, ce qui lui donne un charme indéniable. Tous deux ont déjà en commun une série TV teenage ainsi qu’un thriller (The Voyeurs). Cette nouvelle collaboration cumule un peu trop d’effets éculés, plombée par une intrigue qui n’évite pas le classicisme. Il reste tout de même quelques scènes marquantes où le gore s’invite divinement, et un impressionnant plan-séquence final qui à lui seul rehausse le film par son audace et son côté extrême. Sorti le 20 mars 2024
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant
Premier long-métrage de la scénariste canadienne Ariane Louis-Seize, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est une belle gorgée de sang neuf dans le cinéma vampirique. A la fois teenage movie, comédie noire et drame familial, ce mélange de genres permet au film d’aborder des sujets autant légers qu’intimes, voire graves, et ce, de manière contemporaine. Il parvient à respecter les codes du genre tout en subtilités, et prend le temps de développer ses deux personnages principaux. L’adolescente Sasha (68 ans tout de même) déborde d’empathie qui empêche ses canines de vampire de pousser. Le jeune Paul n’a plus de raison de vivre dans un monde qu’il ne comprend pas. Le destin va les réunir et ensemble, ils vont faire un bout de chemin qui va les transformer, les rendre complémentaires et même, leur donner une certaine soif de vivre… Sorti le 20 mars 2024
The Sweet East
Lillian, jeune lycéenne, fugue durant une sortie de classe à Washington. Echappée de son monde scolaire, elle va faire une première rencontre avec un inconnu, puis une deuxième, et se laisser entraîner dans un voyage à travers une Amérique qu’elle ne soupçonne pas encore. Road trip à la fois physique et mental, The Sweet East est un conte de fée qui mélange réalité et naïveté. Ce passage à l’âge adulte (et de l’autre coté du miroir) est l’occasion de nous rappeler la pluralité des Etats-Unis, source de créativité comme de violence, pays où les rêves autant que les cauchemars sont possibles. A travers les yeux de la jeune fille, pour qui chaque moment est une expérience, la poésie et l’espoir semblent imaginables. Forger son identité dans cette Amérique post Trump passe par l’échange, la confiance, l’ouverture aux autres. Même si l’horizon est sombre, que le monde entier devient un pâle reflet du pays de l’Oncle Sam, et que le milliardaire à mèche blonde prépare un come back en 2024, il n’est pas interdit de rêver à un monde meilleur. Sorti le 13 mars 2024
Il reste encore demain
« Le phénomène italien aux 5 millions d’entrées ». Beau slogan pour un film certes plein d’humanité, au noir et blanc qui rappelle les comédies réalistes des années 1960, au sujet on ne peut plus actuel. Mais ses personnages sont caricaturaux, son style hésite entre comédie et drame sans affirmer haut et fort un véritable message engagé. Il en résulte un film lisse qui se veut trop populaire, trop consensuel, un peu sauvé par sa fin bien amenée qui fait regretter le manque d’audace sur le reste du métrage. Sorti le 13 mars 2024
La Salle des Profs
Les récentes propositions de films traitant du milieu scolaire ont pour la plupart pris le parti de la comédie ou de la comédie dramatique. Venu d’Allemagne, La Salle des Profs choisit une direction diamétralement opposée et embrasse la forme et les codes d’un thriller implacable. Dans ce collège, la politique de la tolérance zéro est de mise. Tandis que plusieurs vols ont été recensés, un élève est rapidement désigné comme l’auteur des faits suite à une fouille. Un peu hâtivement, car la méthode laisse à désirer et les preuves sont loin d’être convaincantes. La jeune professeure remplaçante Carla Nowak décide de mener l’enquête en usant d’une méthode discutable et va déclencher une situation qui va bouleverser tout l’établissement. Elle va se confronter tour à tour à ses collègues, à la hiérarchie, aux parents et aux élèves eux-mêmes, venant à douter de ses convictions. Un huis-clos brillant qui, à défaut de promouvoir l’école publique, nous livre une peinture de la société moderne accablant, régie par la rumeur et la mauvaise foi. Sorti le 6 mars 2024
FEVRIER 2024
Dune, deuxième partie
La première partie de Dune sortie à l’automne 2021 avait peiné à atteindre un score suffisant au box-office pour s’assurer d’une suite. A ce moment-là, l’univers imaginé par le romancier Frank Herbert était surtout connu par un lot d’initiés et par les amateurs de SF sérieuse. Entre temps, le film a trouvé le public qu’il méritait et étendu son lot de fans qui ont vu en l’adaptation de Denis Villeneuve une œuvre importante qui posait les bases d’une grande histoire universelle. Cette suite, dont on mesure déjà l’immense succès à travers le monde, semble conquérir les plus réticents. Paul Atréides poursuit son destin de sauveur d’Arrakis, guidé par sa foi en le peuple des Frémen, les menant vers la révolte. Les enjeux de pouvoir se précisent avec l’entrée en scène de l’Empereur et son rôle dans l’anéantissement de la Maison Atréides, sa collaboration secrète avec les Harkonnen et les Bene Gesserit. Dune deuxième partie se révèle, durant 2h45, un spectacle aussi virtuose visuellement que narrativement. Certains choix de Villeneuve peuvent parfois déconcerter mais ils traduisent une vision assurée et assumée du réalisateur, qui s’octroie des libertés dans la chronologie de certains évènements par rapport au roman ou l’abandon de certains personnages. L’essence du roman, ou plutôt sa savoureuse épice, infuse le long-métrage du début à la fin. A l’instar du premier volet, Dune 2 se termine sur une fin ouverte qui devrait confirmer la trilogie comme l’une des plus importantes de l’histoire du cinéma. Sorti le 28 février 2024
Universal Theory
Au début des années 1960, dans les Alpes suisses, un congrès de physique réunit les plus grands spécialistes venus du monde entier. Johannes, jeune étudiant, vient pour y présenter sa thèse, accompagné de son professeur qui semble loin d’être convaincu par ses recherches. Johannes va être confronté à une série de phénomènes troublants, comme la rencontre avec une jeune pianiste semblant connaître sa vie ou l’apparition de nuages étranges. Magnifiquement filmé en noir et blanc, Universal Theory est un voyage véritablement dépaysant dans le temps et dans l’esprit humain. Il déroute autant qu’il fascine à ouvrir des portes sans en livrer beaucoup de clés. Escroquerie ou grande œuvre, le film a le mérite de laisser chacun l’interpréter comme il le ressent, et c’est suffisamment rare au cinéma pour le juger trop vite. Malheureusement passé un peu inaperçu, Universal Therory aurait mérité plus d’égards, mais laisse augurer dans son multivers une belle carrière à son réalisateur allemand Timm Kröger. Sorti le 21 février 2024
Sans jamais nous connaître
Adam vit à Londres dans une tour moderne dans laquelle peu d’appartements sont occupés. Scénariste pour la télévision, il décide d’écrire sur sa jeunesse, période durant laquelle il perdit ses parents dans un terrible accident, alors qu’il n’avait que douze ans. En retournant dans la maison de son enfance, il va retrouver son père et sa mère au même âge qu’à l’époque, et tenter d’aborder les sujets et les non-dits qu’il porte lourdement en lui depuis lors. Parallèlement il fait la rencontre de Harry, un voisin avec lequel il noue une relation amoureuse et qui semble l’amener vers un avenir plus joyeux. Mais il va falloir qu’il surmonte ses traumatismes, la peur d’aimer, le refuge de la solitude… Sorti le jour de la Saint-Valentin, Sans jamais nous connaître est sans doute l’opposé de ce que pourrait attendre un jeune et innocent couple qui choisit le cinéma pour leur sortie en amoureux de l’année, mais il est tellement plus magnétique et profond qu’une romance rosâtre, tellement incarné par son casting, qu’il est bon de s’y perdre totalement, au risque de verser quelques larmes de tristesse plutôt que de bonheur… Sorti le 14 février 2024
Bob Marley: One Love
Le parti pris intéressant du film est de se focaliser sur une période cruciale de la vie de Bob Marley, à savoir le moment où la Jamaïque bascule dans une violence telle que la star locale évite de peu de se faire assassinat. Forcé de s’exiler, il atterrit à Londres où sa soif de justice, de paix et d’universalité va le pousser à surpasser son écriture et sa musique et engendrer la genèse de l’album Exodus. Mais le classicisme de la chose, ponctué de quelques flashbacks consensuels, et la performance plutôt timide de l’acteur principal, font de Bob Marley: One Love un biopic assez quelconque, à peine aidé par la BO sans surprises qui aligne les tubes du chanteur comme une compilation. Dommage d’offrir un hommage filmique peu ambitieux à ce personnage iconique et important du XXe siècle. Sorti le 14 février 2024
La Bête
Adaptation libre d’un roman d’Henry James, (La Bête dans la jungle), cette Bête pourra en fasciner certains par le mystère et le romantisme qui s’en dégagent. Les autres, dont votre serviteur, trouveront le temps long. Près de 2h30 terriblement longues où le temps passe d’une époque à une autre, voyant deux amants se retrouver par la magie d’une technologie futuriste. Dans ce monde où l’intelligence artificielle règne en maître et où les émotions ne sont plus utiles, Gabrielle parviendra-t-elle à ne plus éprouver de sentiments pour Louis? En réalité (non virtuelle), on finit par ne plus en avoir cure, car le sujet semble déjà daté après quelques minutes de projection. Le générique de fin et son idée de génie enterrent toute envie de comprendre où Bonello voulait nous emmener. C’est bête. Sorti le 7 février 2024
Daaaaaali !
Quentin Dupieux poursuit à un rythme impressionnant l’exploration d’idées parfois loufoques, parfois barrées, et cette fois surréaliste. Pour son nouveau (pas très) long-métrage, il n’aurait pu trouver meilleur sujet pour embrasser ce style picturrrral que le célèbre peintre Salvador Dali. Il réalise un portrait décalé de l’artiste, usant de plusieurs comédiens (Edouard Baer, Jonathan Cohen…) pour l’interpréter avec l’extravagance. Dupieux nous plonge dans une boucle temporelle onirique, où l’on s’égare sans jamais se perdre, avec le flegme et la maîtrise qui le caractérisent. L’univers du réalisateur s’étoffe peu à peu pour continuer à ne ressembler à aucun autre, et même s’il n’en ressort pas toujours de grands films, chacune de ses œuvres possède une singularité indéniable dont il serait dommage de se priver. Sorti le 7 février 2024
JANVIER 2024
Amelia’s Children
Orphelin de naissance, Edward se voit un jour offrir par sa compagne Riley un cadeau qui va chambouler son existence et lui procurer un véritable passé. Un test ADN va lui révéler qu’il a en réalité un frère jumeau et une mère vivant au Portugal. Tous deux se rendent sur place et, une fois passée l’émotion des retrouvailles, vont devoir faire face à des situations d’abord gênantes puis véritablement glauques, au point de mettre en péril leur couple fusionnel. Si Amelia’s Children cumule quelques thématiques éculées (la gémellité, le vieillissement, les cauchemars), il possède un charme gothique indéniable à travers des personnages plutôt bien dessinés et une maison ancienne chargée de recoins et de souvenirs sombres à souhait. Un spectacle honorable, plus intéressant que la moyenne, mais qui ne marquera pas les esprits très longtemps après le générique. On lui préférera Abuela, plus ambitieux dans sa mise en scène et plus contemporain dans sa manière d’aborder des sujets de société délicats. Sorti le 31 janvier 2024
A Man
Rie, une jeune femme divorcée, vit avec sa mère et son fils, dans le deuil de son père et d’un autre enfant parti trop vite. Elle fait la rencontre d’un jeune et timide artiste, Daisuke, avec lequel elle va nouer une relation et reconstruire une famille. Ils se marient, et de leur union naît une fille. A peine deux ans plus tard, Daisuke meurt dans un tragique accident de travail. Lors des funérailles, elle découvre que son mari s’était présenté sous un faux nom. Elle fait appel à un avocat pour enquêter sur la véritable identité de l’homme qu’elle a aimé. Un mystère assez intriguant plane sur ce film qui aborde la quête de l’identité, le destin qu’on souhaite parfois changer pour des raison bien à soi, les origines de chacun. Des fils conducteurs qui fonctionnent un temps, mais qui s’emmêlent aussi, en usant d’une ou deux grosses ficelles qui réduisent un peu l’intérêt de l’intrigue et l’implication qu’on y projetait. Sorti le 31 janvier 2024
La Zone d’intérêt
Rudolf Höss, sa femme Hedwig et leurs enfants vivent dans un petit paradis situé à Auschwitz en Pologne. Cette ravissante maison spacieuse, son jardin verdoyant et magnifiquement fleuri jouxtent un enfer où des actes innommables sont perpétrés dans une mécanique impitoyable. Père de famille exemplaire, il est surtout commandant du camp de la mort et promis à un bel avenir dans le IIIe Reich. Lorsqu’il est question pour lui d’être muté dans un autre camp, l’inquiétude de perdre ces privilèges naît dans le couple. Jonathan Glazer filme cette famille presque ordinaire sans mépris ni parti pris, comme pour mieux nous laisser mesurer la normalité qu’était devenu le processus d’extermination du peuple juif. L’ambiance sonore, la froideur de la mise en scène et quelques effets graphiques, plutôt que des images d’atrocités, suffisent à instaurer une atmosphère pesante. Il en résulte néanmoins un sentiment de flou envers la démarche radicale du réalisateur, qui fait confiance à notre connaissance de l’Histoire mais use de certains biais moins subtils pour faire passer ses intentions. Sorti le 31 janvier 2024
Iron Claw
Estampillé « Inspiré d’une histoire vraie », Iron Claw aiguise d’abord la curiosité par son sujet assez rare à l’écran, le catch professionnel. Un sport qui pour certains n’est qu’une mascarade, où des brutes épaisses ne font que simuler coups et douleurs, mais qui pour beaucoup reste en réalité méconnu et mal compris. Dans les années 1980, quatre frères vont marquer la discipline, coachés par leur père autoritaire, ancien catcheur jamais titré. La complicité entre les frères laisse transparaître une famille heureuse, mais baignés dans un esprit permanent de compétition par le patriarche, leur vie va être une succession de frustration et de drames, perçus par eux comme une malédiction. L’aîné (Zac Efron, impressionnant), qui semble le plus robuste derrière sa carrure imposante, cache en réalité des failles évidentes. Dans cette décennie, le culte du corps et la puissance masculine vont être la vitrine de l’Amérique, et n’accorderont que peu de place à la création artistique et à l’expression des sentiments humains. L’ascension des frères Von Erich incarnait le rêve, mais leur chute laisse un goût terriblement amer. Car le show cette fois-ci n’aura pas fini en happy-end hollywoodienne.
Sorti le 24 janvier 2024
May December
Elizabeth (Natalie Portman), célèbre actrice de télévision, vient passer quelques jours dans la demeure de Gracie (Julianne Moore), dont elle va incarner le personnage à l’écran. Le film doit retracer une période trouble de sa vie où elle fit la une de la presse à scandales. May December fait allusion à une relation entre deux personnes ayant un grande différence d’âge et s’inspire… de faits réels. Avec un sujet aussi délicat, Todd Haynes livre un film aux thématiques riches, où la vie réelle ressemble à une farce horrible, parfois bien plus que le cinéma qui cherche à s’approcher d’une certaine vérité. Les faux-semblants, les mensonges, les non-dits débordent de ce microcosme qui semble idyllique de prime abord. De la mise en scène à la performance des comédiens, c’est un sans faute impressionnant. Sorti le 24 janvier 2024
Pauvres Créatures
Dr Godwin Baxter, éminent chirurgien, confie un jour à un de ses élèves le soin d’étudier Bella, une jeune femme qu’il a miraculeusement ramené à la vie. Sorte de Docteur Frankenstein fasciné par sa créature, il la voit progresser de jour en jour, physiquement et intellectuellement. Bientôt un désir de liberté va naître en elle, puis une soif d’émancipation et de découverte qui va l’entraîner à travers le monde. Aidée par un avocat excentrique et charmeur, celle qui débutait sa nouvelle existence de manière naïve et candide va jouir à plus d’un titre de sa nouvelle condition et façonner son existence, purement et entièrement. Yórgos Lánthimos poursuit son exploration du genre humain et celle du couple en particulier mais, plutôt que d’opter pour la froideur et la cruauté qu’il affectionne, se permet des éclats de folie et un mélange de genres filmiques déroutant mais imparable. Ses comédiens sont lâchés dans un univers haut en couleurs (Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe) et s’en donnent à coeur joie pour dépeindre l’absurdité de l’humanité. Sorti le 17 janvier 2024
Les Chambres Rouges
Venu du Canada, Les Chambres Rouges démarre comme un film judiciaire qui augure de longs moments de plaidoiries. Dans la salle du tribunal, deux jeunes femmes, semblant étrangement fascinées par le présumé meurtrier, assistent au fil des jours au procès telles des groupies. L’homme, presque condamné d’avance, serait l’auteur de vidéos de meurtres de jeunes filles perpétrés dans une Red Room, lieu hautement interdit du dark web. De natures totalement opposées, les deux jeunes femmes vont pourtant se lier d’amitié et partager cette période intense où le doute, la fascination, les questionnements vont les pousser à sortir de leurs limites respectives. Le film se mue en réalité rapidement en un thriller inattendu qui voit son personnage principal, au départ jeune femme contemporaine très superficielle, ôter peu à peu son armure et révéler un déterminisme hors du commun. Sa quête d’un Graal numérique pour faire éclater la vérité passera par des chemins de traverses redoutables, où le poker et le bitcoins se montrent des alliés indispensables. Sorti le 17 janvier 2024
Godzilla Minus One
Avions-nous besoin d’un énième Godzilla? Depuis les années 1950 et l’œuvre originelle de Ishirô Honda, près de 40 films ont vu le jour avec le monstre nucléaire dans le rôle plus ou moins principal. Patrimoine japonais indéniable, le célèbre Kaiju est tristement passé du côté américain à plusieurs reprises, faisant néanmoins grandir encore sa popularité. Ce Minus One situe son action après la défaite nippone à la fin de la Seconde Guerre mondiale et parvient à transmettre un vrai propos moderne tout en conservant son intégrité. Le pays dévasté est en pleine reconstruction et à peine s’est-il relevé qu’il doit faire face à l’attaque de Godzilla. Le film, à travers des personnages bien sentis (le kamikaze qui a refusé son destin, la fille qui s’est improvisée mère…), est une critique ouverte du gouvernement et une ode au peuple solidaire et déterminé. Les scènes de destruction, malgré un budget limité qui dévoile quelques faiblesses dans certains effets spéciaux (loin d’être honteux), sont impressionnantes et ne cèdent pas à l’angélisme. Sorti initialement pendant 2 jours en décembre, il est reprogrammé seulement 15 jours ce mois-ci. Un choix audacieux de la part du distributeur qui a l’air de porter ses fruits. Ressorti le 17 janvier 2024
La Vie rêvée de Miss Fran
Le titre américain du film est beaucoup moins trompeur. Sometimes I Think About Dying annonce une couleur bien plus sombre que le rose de l’affiche française et son air de comédie romantique. Fran est une jeune femme très réservée qui semble peu à l’aise avec les interactions sociales. Sa vie solitaire la fait passer de son travail de bureau, où elle fuit les discussions avec les collègues, à son domicile, qui révèle une sinistre normalité. Elle rêve quelques fois, mais sans être des cauchemars, les images dans sa tête sont peu réjouissantes. L’arrivée d’un nouveau collègue est l’occasion pour elle de sortir, un peu, de sa bulle. Mais ce ne sera pas sans quelques montagnes à franchir. Daisy Ridley parvient à faire oublier son rôle de Jedi et campe un personnage peu attrayant et loin d’être une héroïne glamour. Tout en délicatesse et dotée d’un travail élégant de photo, l’histoire de cette timide maladive est un bel hommage aux personnes qu’on ne voit pas, qu’on n’entend peu, qui ne font pas de bruit dans un monde qui en fait souvent trop, et qui voudrait juste parvenir à vivre un peu moins normalement… Sorti le 10 janvier 2024