Freaks Out
Guerre monstrueuse
Annoncé, autant par son affiche française peu inspirée que par sa bande-annonce épique, comme un film surfant sur la vague des super-héros, Freaks Out est pourtant tout sauf une œuvre comparable à un ersatz italien de Marvel ou DC. Baignant dans une poésie fantastique et un contexte historique qui font penser à Guillermo Del Toro, ce groupe contrasté de quatre créatures ne ressemble en rien à une équipe de surhumains, mais éventuellement, en y réfléchissant, à une catégorie de personnages marveliens parmi les plus intéressants, les X-Men. Dans ce comics, les mutants disséminés à travers le monde sont assimilés à des monstres, des anomalies génétiques. Victimes de leur nature, ils font l’objet soit d’admiration, soit de lynchage, voire de projet d’extermination pure et simple…
Une influence évidente certes pour Gabriele Mainetti, le réalisateur de On l’appelle Jeeg Robot, qui n’avait pas convaincu tout le monde avec son premier long-métrage mais démontrait assurément un savoir-faire et une énergie indéniables, ainsi qu’un attrait pour le genre super-héroïque. Son nouvel essai se dévoile bien plus ambitieux, de par son écriture, ses personnages immédiatement marquants et son mélange de fantastique et d’Histoire avec un grand H. Il parvient cette fois à une osmose totale entre un spectacle visuellement grandiose, où les effets spéciaux servent le propos plutôt que de saturer la rétine, et une aventure qui prend place à Rome, théâtre symbolique dans une seconde Guerre mondiale où violence et folie ne font qu’une…
Quatre fantastiques
Matilde est une adolescente électrique qu’on ne peut pas toucher sans risquer d’être calciné. Fulvio est un homme-chien poilu de la tête aux pieds, doté d’une très grande force. Mario est un vieux nain magnétique, capable d’attirer à lui tous les objets métalliques. Enfin Cencio est un albinos trentenaire, qui peut communiquer avec les insectes et les diriger comme bon lui semble. Certains de ces pouvoirs font écho aux célèbres Magneto, le Fauve ou Phénix, Electro. Qu’importe, les phénomènes de foire que l’on nous présente dans Freaks Out sont incapables d’imaginer affronter l’envahisseur nazi, bien plus puissant par le nombre, par la capacité de destruction et par la stratégie de l’horreur dont il fait preuve (les convois vers les camps de concentration, les expériences et tortures commises sur tous types d’êtres humains…).
Ils ont en commun d’avoir été recueillis par Israël, le directeur du cirque Mezzapiotta, et d’avoir passé toute leur vie au sein de ce lieu de magie, de spectacle enchanteur, dans un cocon protecteur hors du temps et de la réalité. Jusqu’à ce que l’Histoire les rattrape et les confronte à la bataille de Rome qui vient d’éclater. Cet évènement tragique de la IIème Guerre mondiale où, suite à la fuite du roi Victor-Emmanuel III et de sa cour, l’armée, restée en place et abandonnée sans consignes militaires, est rapidement mise en déroute. La ville éternelle est prise d’assaut en quelques heures et les opérations allemandes vont se traduire par le massacre et la déportation de nombreux civils (juifs, prisonniers politiques, handicapés…). Israël leur propose de quitter l’Italie pour partir aux Etats-Unis. Car avec leur apparence particulière, impossible qu’ils passent inaperçus, et aux yeux des nazis, ils ne seraient que de magnifiques cobayes de laboratoire. Mais Israël ne revient pas comme prévu…
Conte de faits
Relier le fantastique à l’Histoire n’est pas chose aisée au cinéma tout comme en littérature. Qu’il s’agisse d’uchronie, d’incursion partielle dans la science-fiction ou le fantastique, jouer avec des événements historiques nécessite un équilibre entre la réalité et la fiction afin que le projet reste intéressant. Lorsqu’un réalisateur doté d’un univers personnel s’attaque à l’Histoire de son pays pour y inclure son propre récit, c’est une manière de faire passer des idées de manière détournée mais néanmoins subtile. L’Echine du Diable et Le Labyrinthe de Pan sont ainsi des modèles d’œuvres habitées par leur auteur, des œuvres fantastiques rehaussées d’un sous-texte issu du réel qui renforce la puissance de l’histoire sans que l’un ne prenne le dessus sur l’autre. Les deux aspects coexistent et sont complémentaires. C’est le propre de nombreux contes ou fables qui vont se servir d’un bestiaire pour incarner des figures ou des archétypes afin de faire passer un message déguisé.
Freaks Out parvient à la fois à parler d’Histoire avec gravité, articulant son récit sur une période de quelques jours déterminante de l’Italie, et à inclure ses personnages fantastiques et à les faire évoluer avec leurs propres singularités et diluer ainsi un peu de gaieté, de fantaisie et d’espoir aussi. Car si l’Histoire ne peut et ne doit pas être réécrite, elle peut par contre être saupoudrée de magie et de poésie…
Superfreaks
L’originalité du long-métrage de Gabriele Mainetti réside dans le fait que le surnaturel n’est pas réservé aux quatre protagonistes qui représentent le camp du bien, mais a également son représentant au sein des allemands, en la personne d’un soldat, Franz, pourvu de douze doigts, pianiste hors pair. Mais sa plus grande singularité réside dans sa capacité à voir l’avenir lorsqu’il rêve (idée fabuleuse qui permet au musicien de jouer de manière classique des airs de Radiohead ou Guns N’ Roses sans que l’on s’offusque d’un quelconque anachronisme). C’est ainsi qu’il parvient à esquisser des objets du futur tels que le smartphone, un hand spinner, un rubik’s Cube… mais qu’il voit également la défaite de l’empire germanique et du suicide de son leader, Adolf Hitler. Personnage haut en couleur, Franz incarne à lui seul la folie et l’arrogance de figures tristement célèbres de l’Allemagne nazie. Il est à la fois chirurgien, tortionnaire, musicien, inventeur…
C’est aussi dans ses visions qu’apparaissent quatre silhouettes dotées de pouvoirs qu’il va s’acharner à retrouver afin de les utiliser pour inverser le cours du destin tragique annoncé pour son peuple. La rencontre entre les quatre compères et Franz sera inévitable mais c’est tout en nuances et en péripéties que le réalisateur nous mènera à cette issue, prenant le temps de développer des personnages secondaires et de rendre hommage à la résistance. Un devoir de mémoire pour ne pas oublier que les nombreuses années où l’Italie a baigné dans le fascisme de Mussolini ne sont pas représentatives du peuple tout entier, et qu’à sa manière, Mainetti se permet de le rappeler, même si au passage, les allemands dans le film n’ont pas forcément droit à une nuance équivalente… Mais à la guerre comme à la guerre, Freaks Out nous offre une grande épopée manichéenne certes, mais possède tellement d’atouts qu’on ne refuserait pas qu’il se transforme en une saga. L’avenir nous le dira, n’est-ce pas Franz?