Texte : Alexandre Metzger - Illustration : Alexandre Metzger - 27 mars 2022

Le Mort-Vivant

Andy s’en va-t-en guerre

Bob Clark a effectué un parcours qu’on peut aisément traiter d’atypique. Avant de se lancer définitivement dans les comédies à l’aube des années 1980 (Porky’s, Karate Dog…), il débute sa carrière de réalisateur dans le film d’horreur et signera plusieurs titres qui deviendront des classiques du genre. Le plus célèbre étant Black Christmas, considéré par certains comme le premier slasher de l’histoire. En 1972 sa comédie horrifique Children Shouldn’t Play with Dead Things au budget dérisoire cartonne outre-Atlantique. Suite à ce succès, les producteurs lui passent commande d’un nouveau film dans la même veine. Mais souhaitant ne pas se répéter, Clark et son scénariste Alan Ormsby s’orientent vers une histoire horrifique au ton plus grave, plus proche de George Romero, afin de livrer une œuvre sombre, ancrée dans son époque. Tourné fin 1972 mais sorti aux USA en été 1974, Le Mort-Vivant (Dead of Night en VO) prend ainsi une dimension politique en racontant l’histoire d’un jeune soldat tombé au Viêt Nam, déclaré mort, qui va pourtant bien revenir au domicile de ses parents. A travers le personnage d’Andy, incarné par Richard Backus (Christopher Walken était initialement envisagé pour le rôle), c’est toute une jeunesse américaine sacrifiée qui est représentée, marquée à jamais par la violence et l’horreur des conflits, puis par l’incompréhension, les critiques à leur retour au pays.
Alors qu’en 1972, le peuple américain est las de cette guerre qui n’en finit plus et qui a décimé des dizaines de milliers de ses jeunes, ce n’est pas ce genre de films qui l’y replonge encore une fois qu’il a envie d’aller voir au cinéma. Il faudra attendre quelques années, le temps que le traumatisme soit en partie derrière lui pour que le sujet du conflit vietnamien puisse être à nouveau au cœur des récits et ainsi honorer comme il se doit les vétérans. De ce fait, Le Mort-Vivant n’obtiendra pas le succès qu’il aurait mérité.

Rêve et Horreur américains

Le Mort-Vivant s’ouvre sur une scène de guerre en pleine forêt. Deux jeunes soldats avancent discrètement dans la nuit, des bombes explosent autour d’eux sans répit. Le premier, Darren, se prend une balle et agonise sous les yeux d’Andy. Puis c’est au tour d’Andy de subir le même sort. Bienvenue dans l’enfer du Viêt Nam…
A l’autre bout de la planète, Charles et Christine Brooks dînent avec leur fille Kathy dans leur maison d’une petite bourgade des Etats-Unis. Dans cette famille traditionnelle, le père prononce le bénédicité avant le repas. La mère termine, un peu gênée, sa propre prière en implorant le retour de son fils. Elle revient dans l’instant présent et invite son mari à découper la viande, tout en vantant la tradition de ce savoir-faire qu’un père doit transmettre à son garçon. Chaque sujet de discussion est l’occasion de parler de son fils, Andy, parti à la guerre en Asie comme tant d’autres jeunes de son âge.
Lorsqu’on vient sonner à leur porte, c’est une nouvelle terrible qu’un militaire vient leur annoncer: leur fils Andy est mort au combat. Dévastée, la mère crie haut et fort à plusieurs reprises “C’est un mensonge!”. Comme tant d’autres avant elle, c’est une nouvelle famille américaine qui est frappée par cette guerre lointaine.
Dans la nuit, Charles trouve sa femme, une bougie à la main, s’adressant à son fils, qu’elle sait vivant, le priant de revenir. Non loin de là, un camionneur prend un jeune homme en autostop, un jeune soldat mutique qui bientôt sera de retour chez lui.

Traumatisme

Comme si de rien n’était, Andy apparaît en tenue militaire devant ses parents et sa sœur. C’est d’abord la stupéfaction, mais la joie de retrouver le jeune garçon prend vite le dessus. Lorsqu’ils abordent le sujet de l’annonce de sa mort, Andy confirme qu’il a bien été tué, avant de partir dans un fou rire communicatif… Un moment à la fois joyeux et gênant qui place intelligemment les intentions d’un film qui se veut à la fois grave et décalé, dans un équilibre instable et malaisant. Un miracle semble avoir été exaucé par les prières de cette famille aimante et profondément croyante. Même si Andy affiche rapidement un comportement plutôt étrange: apathique, il passe ses journées assis sur une chaise à bascule, n’éprouvant ni appétit, ni sommeil.
L’expérience terrifiante de la guerre l’a traumatisé de manière irréversible et il aura besoin de temps avant de redevenir celui qu’il était. La tension se fait ressentir dans le couple parental. Le père d’Andy manque cruellement de patience tandis que sa mère se montre bien plus compréhensive face à la douleur de son fils, qui a toujours été un garçon sensible. Mais Andy n’est véritablement plus le même, et en vient à tuer le chien de la famille, agacé par ses aboiements. Il exprime une violence inquiétante qui éveille les soupçons du médecin de famille lors d’une visite. En effet, le même soir de son retour au domicile familial, un routier a été retrouvé mort…

Sang neuf

Andy rend à son tour visite au docteur, et l’invite à mesurer son pouls, qui est totalement inexistant. Conscient de son état de mort avérée, le mort-vivant qu’il est devenu voit sa peau flétrir et a besoin de sang pour retrouver son visage lisse, tel un vampire, l’injectant dans ses veines comme le ferait un drogué. Le médecin devient sa nouvelle victime.
Andy incarne en quelque sorte la jeunesse américaine sacrifiée pour une guerre insensée et dont le sang n’a que trop coulé. Des milliers de soldats partis en enfer en sont revenus détruits mentalement et physiquement.
Andy se transforme lentement mais sûrement, sa peau se dégradant profondément par endroits, comme s’il se décomposait de l’intérieur. S’il parvient d’abord à cacher son état, il devient par contre de moins en moins expressif, s’éloignant peu à peu de toute émotion, de tout geste d’affection, se montrant très froid envers son ex-petite amie. Sa sœur, qui a organisé des retrouvailles surprises, espérait renouer avec le plaisir et l’insouciance d’avant la guerre, qu’elle partageait avec son frère et leurs conjoints respectifs. Mais c’est une nuit de cauchemar qui va avoir lieu au drive-in où ils décident d’aller passer la soirée. Andy devient peu à peu une créature monstrueuse, uniquement guidée par des instincts meurtriers, une soif de sang et de mort. Baignée dans une bande-son oppressante, mélange de bruits métalliques et de sons de guerre, la transformation, réalisée par le débutant Tom Savini, impressionne par son réalisme. Le jeune maquilleur, revenu lui aussi du Viêt Nam où il officia comme photographe, exprimera toute l’horreur qu’il y aura vécu tout au long de sa carrière, s’inspirant de ses visions immortalisées sur pellicule pour les traduire au cinéma. Lui qui était pressenti pour officier sur La Nuit des Morts-Vivants avant qu’il ne soit enrôlé comme tant d’autres, ne manquera pas l’occasion de montrer enfin son talent pour le film de Bob Clarke. Le travail qu’il effectue sur Andy en fait une créature à la fois terrifiante et pleine d’émotions, plus à plaindre qu’à juger.

Famille en deuil

L’horreur qui émane de lui, si elle n’est pas excusable, est totalement compréhensible. Ses parents, tout comme le spectateur, ne peuvent qu’éprouver de la pitié pour ce fils, dont la seule faute aura été de vouloir faire plaisir à ses parents en revenant d’entre les morts. Le film décrit le drame collatéral de toute guerre: la destruction de la cellule familiale. Andy, qu’il fût revenu véritablement mort ou vivant du Viêt Nam, aurait de toute manière provoqué un cataclysme au sein de sa famille, parmi ses amis. Son retour au domicile dans son état de mort-vivant, ou vivant-mort selon, a peut-être permis une chose, celle de rendre possible le deuil pour ses parents, moins brutal qu’une lettre ou qu’une déclaration officielle de décès par un soldat venu sonner à leur porte. Conscient de l’aberration de sa nature, encore suffisamment humain et lucide, Andy décide de quitter définitivement le monde des vivants pour son dernier lieu de repos, dans une dernière scène terrible où il implique sa mère, aimante jusqu’au bout. Comme si avec lui, dans un infime espoir, la guerre pouvait être définitivement enterrée. Les démons du Viêt Nam en 1972 sont loin d’avoir hurlé leurs derniers maux… et de nouveaux grands films sur le sujet apparaîtront quelques années plus tard, dans une veine moins fantastique, comme Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now ou Rambo first blood