Texte : Alexandre Metzger - 10 septembre 2024

FEFFS 2024

Films vus au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg en septembre 2024

Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, du vendredi 20 septembre au dimanche 29 septembre 2024. Films de la compétition, rétrospectives, crossovers,… Les films vus au jour le jour

 

Chain Reactions


Affiche du documentaire Chain Reactions 2024de Alexandre O. Philippe
Alexandre O. Philippe livre à intervalle régulier sa vision d’œuvres du cinéma de genre à travers des documentaires basés sur de riches interviews. Après Alien, Psychose, L’Exorciste, c’est Massacre à la tronçonneuse qui est décortiqué par plusieurs intervenants marqués chacun à leur manière par le film de Tobe Hooper. Tour à tour, Patton Oswalt, Takashi Miike, Stephen King et Karyn Kusama dévoilent tout l’amour et le culte qu’ils vouent à ce film, qui les influencera soit pour son réalisme cru, soit pour sa vision prémonitoire d’une Amérique rongée par le mal. Sans oublier un personnage mémorable, représentant d’une nouvelle forme d’horreur plus humaine que jamais.

Not Quite Hollywood: The Wild, Untold Story of Ozploitation!


Affiche du documentaire Affiche du documentaire Chain Reactions 2024de Mark Hartley
A l’honneur cette année au FEFFS, le cinéma australien est pour une part mondialement reconnu à travers des réalisateurs phares tels que George Miller ou Peter Weir, tandis qu’un pan entier reste très peu connu du grand public. Ce documentaire s’intéresse aux films d’exploitation, que certains festivaliers ont sûrement croisé dans leur cinéphilie (Patrick, Wake in Wright,…) ainsi qu’aux œuvres plus obscures d’une époque (révolue?) où des cinéastes et producteurs étaient des sortes de pionniers du divertissement. Humour graveleux, érotisme très macho, mais aussi action aux cascades impressionnantes, gore, kungfu… l’inventivité et la folie, à défaut de gros budgets, sont la marque de fabrique de nombreux longs-métrages conspués par la critique mais qui vont toucher un public avide d’exotisme non formaté. A travers ce documentaire, de nombreux intervenants de l’Ozploitation évoquent avec suffisamment de recul (et d’humour) la passion avec laquelle ces produits, parfois médiocres, ont pu être engendrés et ont donné lieu, miraculeusement, à quelques chefs-d’oeuvres.

The Surfer


Affiche du film The Surfer avec Nicolas Cage sorti en 2024de Lorcan Finnegan
Si Vivarium, malgré un concept intéressant et une belle facture, avait moyennement convaincu, la nouvelle proposition de Lorcan Finnegan s’inscrit dans une nouvelle unité de temps et de lieu assez déroutante, démontrant un savoir-faire et une maîtrise de la part du réalisateur. En choisissant pour son rôle-titre le désormais soixantenaire Nicolas Cage, 120 films à son compteur, il offre à la star une nouvelle occasion d’en faire des caisses, ou plutôt des vagues. Sauf que ce personnage de surfer, malgré les situations terribles dans lesquelles il va se retrouver, malgré la folie qui va l’envahir peu à peu, va parvenir à évoluer sans jamais exploser (ou presque, cf la scène culte du rat) comme on l’aurait attendu. Cage, tel un loup solitaire mais avec la sagesse du lion, va parvenir à faire corps avec cet environnement hostile, à plonger dans les méandres de son âme quelque peu brisée, pour en ressortir transformé. The Surfer nous offre un ride émotionnel, sous une chaleur étouffante et à travers des épreuves douloureuses, n’offrant une planche de salut au spectateur qu’à son terme.

The Damned


Affiche du film The Damned 2024de Thordur Palsson
Au cœur d’un hiver particulièrement rigoureux, un groupe de pêcheurs situé dans un poste au nord de l’Islande, doit tenir bon face au froid et au manque de nourriture. Lorsque un navire s’échoue non loin des côtes, ils refusent de porter secours aux marins afin de ne pas augmenter encore leurs difficultés. Un esprit vengeur vient les hanter et les pousse peu à peu vers une folie certaine. Stylisé, bien interprété, le film manque pourtant d’une originalité qui aurait pu le distinguer d’autres productions sur le même thème. Et son argument fantastique n’est malheureusement pas assumé jusqu’au bout. C’est bien dommage.

Maldoror


Affiche du film Maldoror de Fabrice Du Welz en 2024de Fabrice Du Welz
Belgique, 1995. Un jeune gendarme cherche à résoudre une enquête de disparition de deux jeunes filles dans son secteur. Guidé par une intuition persistante, il outrepasse certaines règles, dépité par le manque de réactivité de son supérieur et par la rivalité entre polices et gendarmerie, en pleines restructurations alors. Fabrice Du Welz s’attaque à l’affaire Dutroux en la situant du point de vue d’un homme obstiné par la justice, malheureusement seul face à un système étatique corrompu. Il évite d’en faire un thriller et dresse un portrait de son pays dans ces années sombres, encore traumatisé par cette affaire criminelle et déchiré à jamais. La Belgique ressemble par moment à un champ de ruine, un paysage industriel en désolation. Mais dans toute cette noirceur, il n’oublie d’y mettre de la lumière, à travers le couple formé par le gendarme (Anthony Bajon) et sa femme (Alba Gaia Bellugi déjà vue dans Inexorable). Leur union si pure, à l’instar du pays dans lequel ils vivent, ne sortira pas indemne de ce Voyage au bout de l’enfer. Du Welz livre sans doute son film le plus ambitieux, dans une structure (et une durée) qui rappelle le film de Cimino. Un monde dans lequel un enfant nait, sans le savoir, entouré de monstres en puissance, il est difficile de croire à un avenir meilleur, même lorsque l’amour nous entoure. Maldoror voudrait pouvoir changer l’Histoire, mais la réalité restera toujours plus forte que la fiction.

Timestalker


Affiche du film Timestalker en 2024de Alice Lowe
Alice Lowe scénarise, réalise et interprète le rôle principal de cette comédie fantastique et romantique. Alors que le film débute par une scène qui lorgne du côté des Monty Python, il bifurque rapidement vers le gag sanglant qui annonce une suite de saynètes situées dans des époques différentes, où l’on croise inlassablement les mêmes personnages au fil de leur réincarnation. L’humour à l’anglaise, parfois drôle, se fait tout de même rare. La romance à l’anglaise n’a rien de passionnant et il est bien dommage que le voyage dans le temps n’ait pas été mieux exploité pour créer des situations plus délirantes. Les « amants » manquent cruellement de charisme et le sous-texte de l’amour en cage vs l’amour fou finit par lasser car il ne nous emmène pas très loin.

Exhuma


Affiche du film Exhuma en 2024de Jang Jae-hyun
Cela fait longtemps que la Corée nous livre régulièrement quelques pépites filmiques. Polar, action, horreur,… les genres sont souvent à l’honneur et se combinent parfois pour un mélange détonnant. Exhuma est un nouveau représentant de thriller horrifique qui nous entraîne sur un terrain glissant à travers cette histoire où il est question de chamans et de géomanciens faisant équipe pour résoudre ce qui s’apparente à une malédiction familiale. Assumant pleinement et sérieusement son propos, le réalisateur et ses comédiens ne font jamais fausse route et nous offrent une œuvre généreuse, dans laquelle le paranormal n’est jamais remis en cause et le passé peut ressurgir de manière violente. La mise en scène très efficace fait honneur à un scénario qui surprend à plusieurs moments, rehaussé par un sous-texte historique où le Japon, ancien colon, s’invitera pour un moment d’horreur pure assez inattendu. L’art de surprendre reste l’une des forces du cinéma coréen, dont Jang Jae-hyun pourrait bien être un des nouveaux fers de lance.

She Loved Blossoms More


Affiche du film She Loved Blossoms more en 2024de Yannis Veslemes
Voilà un film qu’on aime souvent nommer curiosité, ne sachant le ranger dans une catégorie familière. Visuellement intéressant, le travail du réalisateur, scénariste et compositeur Yannis Veslemes, montre rapidement ses limites, enfermé dans sa création qui n’offre pas beaucoup de clés pour la rendre intéressante. Ou alors trop de clés pour peu de portes à franchir. Cette histoire de trois frères, confrontés à leur père, qui testent une machine à voyager dans un autre espace-temps (une armoire customisée) pour ramener leur mère à la vie avait de quoi séduire. Les scènes lorgnent vers le surréalisme, prétexte à des scènes répétitives et un cabinet de curiosité plus ou moins réussi. Au final, on a l’impression de ne pas avoir été convié à y entrer et d’être resté sur le seuil.

Steppenwolf


Affiche du film Steppenwolf en 2024de Adilkhan Yerzhanov
Annoncé comme un post-apo lorgnant du côté de Mad Max, Steppenwolf ressemble plus à un cri de rage et d’amour de son réalisateur envers son pays le Kazakhstan. Territoire immense dont on entend peu souvent parler, dont le pétrole représente 55% de l’économie, il aurait pu effectivement ressembler à un Mad Max. Adilkhan Yerzhanov opte pour un réalisme plus frontal, nous dévoilant les paysages désolants à l’opposé des cartes postales que nous propose Google. Un outback poussiéreux, où les gens sont plongés dans une guerre civile. La violence est un mode de fonctionnement normal. Montrer des faiblesses n’est pas permis. Lors de l’attaque d’un poste de police, une femme semblant désorientée demande de l’aide à un inconnu pour retrouver son fils kidnappé par des trafiquants d’organes. Ce duo improbable va partir sur leurs traces, chacun ayant une revanche à prendre sur le chef de ces opérations. Au cœur de cette violence où les cadavres vont se cumuler, des moments intimistes vont dévoiler les blessures et la folie des deux personnages. Réalisateur peu connu en France mais très prolifique (15 films en 12 ans), Adilkhan Yerzhanov exagère la réalité mais pour mieux la faire entendre. Le Kazakhstan est un gouvernement autoritaire, miné par la corruption et qui répond par la violence aux manifestations civiles. Son film fait ressentir, sans l’exprimer outre mesure, que son pays est gangréné et presque irrécupérable. « Le bien n’existe pas » déclame un de ses personnages. Phrase terrible qui fait office de plaidoyer on ne peut plus nihiliste. Dopé par une mise en scène concise et par des comédiens envoûtés par leurs rôles, ce Loup des Steppes rappelle à notre triste mémoire que la violence est malheureusement une langue universelle, présente dans des états que l’on ne soupçonne même pas.

U are the Universe


Affiche du film U are the Universe en 2024de Pavlo Ostrikov
Andriy, un trentenaire ukrainien, accompagné d’un robot rudimentaire, est seul humain à bord d’un vaisseau spatial qu’il conduit loin de la Terre pour y larguer des déchets toxiques devenus désormais trop nombreux. Un travail solitaire qui convient parfaitement à cet homme sans grande ambition et plutôt asocial. Pendant son voyage retour, la Terre explose. Andriy se retrouve à la dérive, menacé d’être percuté par les nombreux débris. Alors qu’il pense être le seul Homme encore vivant, et au passage autoproclamé roi de l’Univers, une voix féminine le contacte depuis l’autre bout du système solaire. Cet épisode inattendu va changer sa manière d’imaginer l’avenir et bouleverser son être en profondeur. A partir d’un concept somme toute simple, – deux êtres opposés et éloignés dans l’univers -, le scénariste et réalisateur Pavlo Ostrikov livre une œuvre universelle passionnante sur la condition humaine et la quête de sens. Son personnage principal est au départ loin d’être charismatique. Mais on ne peut s’empêcher après ce drame d’éprouver pour lui de la pitié et une compassion naturelle face au destin funeste qui l’attend (ses réserves de carburant et de nourriture n’étant pas infinies). Le dialogue qui va naître avec cette femme lointaine va l’obliger à se livrer, à dépasser sa nature réservée et plutôt misanthrope. Il va dévoiler une sensibilité réelle et se révéler de plus en plus attachant à nos yeux. U are the Universe, réalisé sur 7 ans dans une Ukraine qui a basculé dans un quotidien terrible, prend une dimension particulière. La solitude d’Andriy dans l’immensité de l’univers renvoie à ce pays en pleine guerre depuis 2022, isolé face à son ennemi russe implacable. Malgré une aide internationale, l’issue est incertaine pour la population qui doit s’accrocher malgré tout à un espoir. Pavlo Ostrikov envoie à travers ce film un message par le biais de la science-fiction, non dénué d’humour, de poésie et d’amour. Une œuvre qui impressionne par la qualité des effets spéciaux, par la maîtrise de l’espace en huis-clos et qui fourmille d’idées de situation (le visage sculpté, les disques vinyles,…). Sans alien, sans bataille spatiale, il nous livre une “ukrainie” pourrait-on dire, dont le postulat de départ, la destruction de la Terre, loin d’être une simple allégorie, parvient à faire froid dans le dos tout en livrant une légère touche d’espoir sur la capacité de la race humaine à se remettre en question.