Texte : Alexandre Metzger - 1 novembre 2021

Halloween (2018)

La Nuit du Masque

La saga Halloween est sans aucun doute l’une des plus emblématiques et des plus discutables que le cinéma d’horreur ait engendrée, issue du chef-d’œuvre incontestable et intemporel de John Carpenter (1978), succès monstrueux à sa sortie (production indépendante budgetisée à 325 000$, le film rapporte 70 millions dans le monde entier). Elle symbolise d’une part l’exploitation à outrance d’une franchise qui a donné naissance à quelques bons millésimes mais aussi malheureusement à pas mal de rejetons indignes, et d’autre part, elle incarne peut-être le mieux la difficulté à rendre cohérente sur le long terme une histoire qui aurait pu se suffire à elle-même avec un long-métrage unique.
La saga Halloween, passée de mains en mains à grand coup de Revanche, de Retour ou de Malédiction de Michael Myers, a fini par s’essouffler, s’éloignant peu à peu du concept originel de son créateur, jusqu’à n’intéresser plus grand monde au début des années 2000 après une ultime Résurrection. Condamnée à être remakée pour lui donner un nouveau souffle, c’est à Rob Zombie que revient l’honneur de ressusciter le boogeyman en 2007. La vision du leader du groupe de métal White Zombie redonne un coup de fouet et relance la machine pour deux films inégaux, puis la hype retombe à nouveau… Près d’une décennie plus tard, que peut-on attendre d’un énième Halloween, sobrement titré comme l’original de Big John et le remake précité ? Un sacré culot d’abord : faire table rase de tous les films réalisés, y compris l’opus II, pourtant suite directe du premier, et imaginer ce que sont devenus Laurie Strode (fidèlement incarnée par Jamie Lee Curtis) et Michael Myers, quarante après les faits qui se sont déroulés ce 31 octobre 1978. La réalisation est confiée à David Gordon Green, metteur en scène confirmé mais novice dans l’horreur. C’est ce qui plaît à Jason Blum (Blumhouse), coproducteur avec Miramax, qui pense qu’une vision nouvelle ne peut être que bénéfique pour partir sur des bases saines. Le scénario de Green parvient à convaincre Jamie Lee Curtis et même John Carpenter qui sont tous deux crédités comme producteurs exécutifs. Le verdict est sans appel, Halloween attire les spectateurs en masse : Michael Myers est plus vivant que jamais…

40 ans, toujours psycho

Depuis 1978 et cette terrible nuit d’octobre, Michael Myers est incarcéré dans un centre de réadaptation. Depuis quarante ans, il n’a pas prononcé un seul mot. Depuis quarante ans, il fascine les psychiatres, de feu le Docteur Loomis au Docteur Sartain, le dernier en date à le suivre. Il est sur le point d’être transféré dans un autre centre, définitif celui-là, pour y croupir jusqu’à sa mort. La mort, c’était l’unique solution envisageable pour le Docteur Loomis qui n’a toujours vu en lui que le Mal à l’état pur. Myers est aussi le sujet favori d’un couple de journalistes, qui enquête sur lui depuis des années et vient tenter une interview du personnage dans sa prison. Michael se tient là, debout, de dos, menotté, au centre d’une cour quadrillée rouge et blanc, à l’intérieur d’un tracé jaune délimitant le déplacement qui lui est autorisé. Une silhouette habillée d’une tenue blanche de prisonnier, barbe courte entretenue. Un homme à l’aube de la soixantaine sans caractéristiques particulières si ce n’est une imposante carrure, à la calvitie déjà bien entamée.
Le journaliste entame un jeu de questions qui restent figées en un monologue ne suscitant aucune réaction auprès de son interlocuteur. Ce n’est que lorsqu’il sort de son sac un objet ayant appartenu à Michael que celui-ci esquisse un léger mouvement de la tête. Sans voir de quoi il s’agit, il semble le ressentir au plus profond de sa chair. Plus qu’un objet, c’est une extension de lui-même qui resurgit. Un masque blanc craquelé, surmonté d’une chevelure défraîchie. Le vrai visage de Michael…
Une scène sobre mais diablement efficace, baignée par les cris des autres détenus, les aboiements de chiens, tous électrisés par cette tension palpable. Essayant de pousser Michael dans ses retranchements à grands coups de “Say something! », cet inconnu tient à bout de bras une part loin d’être infime de la personnalité du tueur. Autour du roi Michael, les fous hurlent de toute part sur l’échiquier de bitume, mais le roi ne se laisse pas impressionner. Le roi reste droit debout et attend patiemment son heure…

Happy Halloween Laurie

Place au générique de Halloween 2018 qui revisite celui de 1978 comme une évidence plutôt qu’un hommage ou une obligation. La citrouille semble se regonfler et retrouver une nouvelle fraîcheur après tant d’années d’égarement et de pourrissement. Le film tiendra-t-il cette promesse prétentieuse ?
Retour à Haddonfield, Illinois.
Le couple de journalistes, face à l’échec dans leur tentative de faire s’exprimer le géant mutique, se rendent alors dans un lieu perdu en pleine forêt. Une clôture, des barbelés et des caméras de surveillance… Bienvenue chez Laurie Strode (Jamie Lee Curtis)!
Quarante ans ont passé, la jeune babysitter est devenue une vieille femme défraichie, barricadée derrière de multiples verrous et une paranoïa inébranlable. Ce 31 octobre 1978 l’a rendue indissociable du “monstre” comme elle le nomme, assassin de cinq personnes cette nuit-là. Elle refuse de l’appeler “être humain”, lui préférant le terme de boogeyman.
Telle Sarah Connor, elle s’est entraînée au maniement des armes à feu et à l’auto défense, attendant ce jour fatidique où Michael reviendrait. Un jour d’octobre assurément.

La Famille Strode

Laurie Strode, depuis les horreurs de cette fameuse nuit d’Halloween, malgré deux divorces, est tout de même parvenue à construire un semblant de famille. Elle est mère d’une fille du nom de Karen (Judy Greer), qui ne souhaite plus la voir, entraînée jusqu’à ses 12 ans au combat et à la survie avant de lui être retirée par les services sociaux. Elle a une petite-fille aussi, Allyson (Andi Matichak), avec qui elle garde un contact étroit.
Trois générations de femmes, liées de près ou de loin à Michael Myers. Un lien de sang, mais sûrement pas dans le sens propre du terme. Non, Laurie Strode n’est pas la sœur de Michael. Non elle ne s’est pas fait tuer ni n’est ressuscitée miraculeusement…
S’il n’est pas clairement annoncé que ce film est la suite directe du premier Halloween, il élude pourtant toutes les suites réalisées à ce jour. Ce sont quelques lignes de dialogues qui nous l’apprennent discrètement.
Ce soir Michael est transporté avec d’autres patients vers sa destination finale. Ce soir, Laurie a revu la silhouette de Michael, espérant avor l’occasion de le tuer mais a été totalement incapable de le faire. Ce soir, Michael va à nouveau s’échapper et retrouver le monde extérieur…
L’accent mis sur l’aspect psychologique de chacun des protagonistes est une des grandes réussites du film. Les personnages ont passé plusieurs décennies hantés par cette fameuse nuit d’horreur. Si les plus jeunes habitants de Haddonfield ignorent pour la plupart cette histoire, les plus anciens ont des blessures profondes qui ne guérissent pas. Laurie transmet sa paranoïa et sa haine envers Michael comme un devoir de protection envers sa famille. Celui qu’elle nomme le boogeyman ne serait-il pas finalement qu’un fantasme, une idée qui aurait germé dans sa tête, un être fantastique auquel on attribue un pouvoir surhumain? Michael ne serait-il pas juste un homme comme les autres?

La silhouette / The shape

Michael Myers, en recouvrant la liberté, retrouve son statut de silhouette (The shape en anglais), ombre mouvante marchant droit devant lui, sans but apparent. Une forme blanche et floue tout d’abord, sans masque, tapie en arrière-plan. Puis peu à peu, il redevient l’être qu’il était 40 ans plus tôt, se procurant une combinaison sombre dérobée à un garagiste et surtout son masque. La sobriété des mouvements de caméra crée un lien étroit avec le film de Carpenter et fait plaisir à voir : le boogeyman est inquiétant à souhait et la froideur de ses gestes est bien la même qu’en 1978. Tel un prédateur, il tue de sang-froid celles et ceux qui croisent son chemin, sans chercher à créer une quelconque mise en scène de ses meurtres, préférant toujours l’arme blanche et la rapidité d’exécution de ses gestes.
Si l’on considère Michael comme l’enfant qu’il est resté dans sa tête, on pourrait voir dans ses actes une simple volonté de célébrer cette fête d’Halloween si importante aux yeux de tous les habitants de cette ville qui l’a vu grandir. Michael est un enfant de Haddonfield, un enfant de six ans envahi par le mal absolu qui l’a fait tuer ses parents d’abord, puis sa sœur et bien d’autres victimes par la suite. Tout le monde continue d’ailleurs de l’appeler Michael, que ce soit les policiers, Laurie, ses psychiatres… Si l’Amérique continue de célébrer le Mal tous les 31 octobre, alors le Mal ne peut que s’inviter à la fête. Le Mal qui n’a pas pu honorer Haddonfield de sa présence pendant 40 ans doit se faire pardonner. Haddonfield n’est rien sans Michael si ce n’est une bourgade de province sans visage. Michael est revenu, a vaincu les affres du temps et a encore une fois survécu… La silhouette inquiétante s’est à nouveau fondue dans l’Amérique déguisée avec la même facilité, pour à nouveau la poignarder de l’intérieur. Comme un jeu d’enfant. Mais dans cet esprit qui semble vide et sans but, il n’a qu’une idée en tête, retrouver Laurie…

Retrouvailles

Laurie Strode sort de son hibernation de 40 années presque comme un soulagement. Elle et lui sont deux personnages indissociables l’un de l’autre. Laurie ne serait rien d’autre qu’une femme et une mère de famille comme les autres si elle n’avait pas croisé le chemin de Michael. Lui a vécu un moment d’intense frustration en ne parvenant pas à achever cette proie idéale, faisant à peine couler son sang. Entre haine profonde et attraction morbide, il n’a eu que le temps à tuer pendant toutes ses années, patientant en silence jusqu’à ces retrouvailles inéluctables. Leur destin respectif doit forcément les réunir à nouveau, et c’est pour cela que Laurie a conçu sa maison comme un piège pour son bourreau, et prié durant des années qu’il s’évade. Ce duel final ne sera pas pour autant facile. Pour chacun de ces deux êtres que tout oppose, tuer l’autre signifie presque en finir avec soi-même. Comme deux époux qui signeraient pour le meilleur et pour le pire, et qui repoussent autant que possible leur séparation, la fin de leur histoire… Pour Laurie, c’est l’unique occasion de prouver qu’elle n’est pas la femme folle que tout le monde regarde avec pitié, à commencer par sa propre fille. Le boogeyman est pour beaucoup un personnage imaginaire, une légende urbaine créée de toute pièce pour faire frissonner les enfants. Tout le folklore déployé dans la ville de Haddonfield fait plaisir à voir. La fête est maintenue d’une année à l’autre avec la même émulation, les enfants vont chercher leurs bonbons en sonnant chez l’habitant, jouant le jeu presque comme un devoir de citoyen. Loin de la fête, loin des citrouilles et des lampions, Laurie a réservé un happy halloween à son cauchemar masqué, occasion idéale de lui présenter sa famille…

L’héritage de Carpenter

Preuve “vivante” que le cinéma de John Carpenter est toujours aussi pertinent, cette suite respectueuse de David Gordon Green montre à quel point le premier Halloween était novateur en son temps. Il a créé un mythe immédiat, dont la portée s’est tout de même construite en partie grâce, ou à cause, de son nombre incroyable de suites. Halloween millésime 2018 décline à la fois les codes de son modèle et utilise ceux d’aujourd’hui, sans tomber dans le gore outrancier ni les jumpscares faciles. C’est là où il a une certaine légitimité à pouvoir se revendiquer comme une suite directe à La nuit des Masques (titre français), car c’est ce qu’on attend d’une séquelle digne de ce nom : conserver l’esprit de son prédécesseur tout en proposant quelque chose de neuf, qui permet au matériau d’origine d’étendre son univers tout en restant cohérent.
Halloween 2018 n’aurait jamais vu le jour 40 ans plus tard sans ces films intermédiaires, qu’il surpasse pour bon nombre d’entre eux, et qui ont finalement aidé à maintenir Michael Myers en vie. Aucun de ces films ne s’est permis de le tuer définitivement. Peut-être John Carpenter a-t-il lui-même regretté ce fameux plan en plongée sur l’herbe qui dévoile que Michael s’est relevé de sa chute mortelle, forcé d’écrire une suite qu’il n’avait jamais anticipée. Est-ce l’intention de David Gordon Green de le tuer une bonne fois pour toute?

Dead or alive?

En laissant Michael Myers piégé dans les flammes à la fin de son film, rien n’est moins sûr. Les ingrédients de son slasher sont bien les mêmes et fonctionnent toujours autant. Qu’il s’agisse de son thème musical entêtant (revu et corrigé par Carpenter père et fils), son personnage iconique de tueur à l’arme blanche qui en a inspiré bien d’autres (Jason Voorhees, Scream…), son esthétique et ses mouvements de caméra tout en sobriété.
L’horreur au cinéma avait pris de nouvelles formes dans ces années 1970 et avait posé des jalons incroyablement modernes qui inspirent toujours autant les réalisateurs de la nouvelle génération, de James Wan à Quentin Tarantino, et dans le domaine de la production, l’un des représentants les plus prolifiques de l’horreur moderne est bien la société Blumhouse, (Insidious, Sinister, Paranormal Activity…), qui se retrouve au générique de ce nouvel Halloween. La boucle est-elle pour autant bouclée ?
Ce retour au cinéma en 2018 devient le plus gros succès (mérité) de la franchise et, faut-il s’en réjouir, la suite annonce la couleur, Michael va encore tuer. Halloween Kills, en octobre 2021, tiendra-t-il ses promesses d’héritier digne de ce nom ? Ou deviendra-t-elle une énième suite de trop. Doit-on craindre le même syndrôme répété depuis tant d’années, cette incapacité à mettre un terme à une histoire commencée il y a plus de 40 ans? Ne serait-ce pas là la malédiction de Michael Myers, condamné à revenir encore et encore? Halloween Ends, en octobre 2022, serait-il vraiment la fin du boogeyman ? Pour certains mythes, mourir semble bien pouvoir attendre…