Hidden I
La face cachée de l’Amérique
Une caméra de surveillance. De jour. Une banque. Un homme apparaît à l’écran de dos. Après quelques secondes, il sort de son imperméable un fusil et tire sur la foule. Il ramasse des sacs de billets, se retourne vers la caméra, sourit, et la détruit d’un ultime coup de feu. Ainsi commence Hidden. Initialement, la scène avait été écrite pour être un hold-up en bonne et due forme, avec plusieurs plans pour décrire l’action. Devenue un unique plan fixe, elle résume à elle seule les choix auxquels un réalisateur peut être confronté lorsque la société de production, en l’occurrence New Line Cinema, impose une réduction des dépenses. Il en résulte une réponse maline, pertinente et diablement efficace, qui ne réduit en rien l’ambition de fabriquer un bon film mêlant action et fantastique. L’artisan derrière Hidden, Jack Sholder, pourra se targuer d’avoir remporté, à défaut d’un succès public, le Grand Prix au Festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1988, face à Robocop de Paul Verhoeven et Prince des Ténèbres de John Carpenter entre autres ! Imposture ou légitimité ? La carrière à suivre ne sera pas très glorieuse pour le réalisateur et les fans du robot-flic ont toujours un goût amer au fond de la gorge depuis cette fin des années 1980. Un goût même très amer qui pourrait ressembler, si l’on s’en approche, à une grosse sangsue noire et visqueuse…
Polar artisanal
Hidden démarre comme un polar classique en nous offrant une course-poursuite folle à travers Los Angeles entre le criminel et les flics sur fond de hard-rock. Le type semble déterminé, étrangement sûr de lui, et poursuit sa route sans peur aucune. A l’horizon, une horde de flics l’attend, canons pointés vers la Ferrari noire qu’il conduit et le crible de nombreuses balles. L’homme devrait être mort mais parvient à sortir du véhicule sans difficulté et prend encore plusieurs coups dans le corps. Il parvient pourtant vivant à l’hôpital ! Tôles froissées, sirènes de police américaine, crissements de pneus, toute la panoplie est là pour faire son effet de c’est plutôt bien fait ! Même très bien fait ! Jack Sholder, longtemps monteur de bandes-annonces et de films pour New Line Cinema aux débuts de la société, possède un vrai sens du rythme et de l’action qui rend son film très dynamique, afin de ne laisser aucun temps mort entre les scènes. Même avec un budget réduit, pourquoi ne pas ambitionner de réaliser une des plus grandes courses-poursuites en s’inspirant des meilleures jamais vues sur un écran ? En faisant les bons choix de focale et de placement des caméras, il nous livre une impressionnante démonstration de son savoir-faire. Jack Sholder est une personnalité intéressante, en marge de la profession, qui préfère le mélange des genres et l’expérimentation plutôt que de se fondre dans un moule et faire ce que tout le monde fait déjà par ailleurs. Peu intéressé par l’horreur en réalité, le pourtant réalisateur de Dément et de La Revanche de Freddy ne s’en cache pas, c’est la littérature, le cinéma de Truffaut, Hitchcock ou Renoir qui lui parlent. Ses touches personnelles s’illustrent souvent par l’humour qu’il instille dans l’horreur, qui curieusement ne nuit en rien à la tension mise en place, car ces moments apportent toujours quelque chose de singulier, d’inattendu. Une vraie patte pour ce metteur en scène dont l’humilité est à souligner : il attribue, même des années plus tard, le mérite du film à la qualité d’écriture de son scénariste, Jim Kouf.
Basculement dans le fantastique…
Caché derrière des apparats de polar, à la fois dans la bande-annonce originelle et dans les premiers instants du film, Hidden dévoile rapidement ses intentions réelles. Dans la chambre d’hôpital, une scène éloquente nous fait brutalement basculer dans le fantastique. Se relevant de son lit d’hôpital, l’homme criblé de balles se dirige vers son voisin de chambre et vomit dans la bouche du pauvre homme endormi une énorme créature noire, sorte de larve visqueuse à tentacules qui s’engouffre dans le nouvel hôte. La mémoire du cinéphile peut y déceler une référence à Poltergeist II (et sa belle séquence de régurgitation). On pense à Alien, à The Thing aussi dans l’aspect tentaculaire et sonore de l’organisme. Mais cela n’entache en rien le plaisir de savourer ce moment fort d’effets spéciaux mécaniques toujours impressionnant aujourd’hui.
Un policier de la ville, Tom Beck (Michael Nouri), se voit confier l’enquête et imposer comme associé Loyd Gallagher, un agent du FBI (Kyle MacLachlan), jeune homme propre sur lui, calme et policé, costard gris impeccable. Un duo pas vraiment en osmose, Beck étant plutôt sanguin et brut de décoffrage. Un schéma là aussi très répandu tout au long des années Reagan, où deux personnalités souvent opposées doivent faire équipe pour le bien d’une mission, qu’on appelle communément les buddy-movies (48 heures, L’Arme fatale, Double Détente…). Des méthodes bien différentes aussi pour chacun des protagonistes, Gallagher semblant en savoir bien plus qu’il ne le laisse entendre… Leur périple à travers la jungle de Los Angeles est une belle peinture de l’époque et de l’Amérique, assez similaire au Detroit de Robocop, où sexe et drogue sur fond de violence urbaine ternissent la ville. Seuls les politiciens orgueilleux semblent pouvoir être les remparts à ces fléaux…
…et le politique
Un sous-texte loin d’être hasardeux puisque la créature, qui passe d’un corps à un autre pour s’en nourrir et survivre, cherche elle aussi, comme tout individu qui souhaite gravir les échelons de la société voire à accéder au pouvoir, et vise ni plus ni moins qu’un futur candidat à la Présidence des Etats-Unis. Une idée que ne renierait pas John Carpenter, dont Invasion Los Angeles l’année suivante sera une proposition bien personnelle de la menace extra-terrestre…
Il serait un peu facile de voir dans Hidden une métaphore des années sida, le terrible virus matérialisé par ce “passager” qui transforme les corps en des pantins belliqueux. Hidden symboliserait plutôt la manipulation insidieuse des individus, de la masse populaire qui devient comme téléguidée de l’intérieur, exploitée jusqu’au bout puis remplacée froidement. Quelque chose de plus politique, de manichéen aussi dans cette lutte entre le bien et le mal qui reste subtile de bout en bout. Une manière déguisée de pointer du doigt cette Amérique rongée par les armes, l’argent, la drogue, le luxe.
Casting de stars
Alors que le rôle était d’abord destiné à Jeff Fahey qui décline l’offre, Kyle MacLachlan, à peine sorti de deux œuvres de David Lynch, poursuit son rôle de sauveur (de la planète Arrakis dans l’une, d’Isabella Rossellini dans l’autre), de l’humanité cette fois. Dune aurait pu en faire une star, mais le destin en a décidé autrement. Blue Velvet montre une autre facette, bien plus sombre, de son talent. Pour son personnage d’agent du FBI à la fois déphasé et touchant, il apporte son jeu candide et affirmé comme venu d’une autre planète et semble déjà construire son futur rôle majeur de l’agent Cooper de Twin Peaks. La créature sans visage qu’il traque de manière obsessionnelle le révèle peu à peu au grand jour. A l’instar de Kyle Reese dans Terminator, il connaît son ennemi sans empathie, insensible à la douleur, presque robotique…
Michael Nouri, lui, a connu un succès fulgurant grâce à Flashdance en 1983 mais semble avoir oublié la décennie précédente qu’il a traversée sans se faire repérer. En délaissant son sourire d’amoureux niais, il campe cette fois un flic tout en tension et fait preuve d’un réel charisme dans sa manière de jouer. En rejoignant ce film fantastique à petit budget, il apporte avec lui des caprices de diva, une attitude pas très exemplaire, et se confronte souvent à Jack Sholder, instaurant une atmosphère plutôt électrique sur le tournage. Cette tension profite heureusement au film, parce que palpable et convenant parfaitement à l’ambiance souhaitée.
Il est étonnant que sa carrière n’ait pas vraiment décollé puisqu’il restera cantonné à des seconds rôles ou à des séries TV par la suite. Il apparaît même dans la première adaptation de Captain America en 1990 par Albert Pyun ! Avec Kyle MacLaghlan, ils restent à jamais un duo mémorable de personnages, évoluant dans une confiance mutuelle avec brio.
Hidden suite et fin
Echec relatif dans les salles obscures, Hidden trouvera le succès grâce à la VHS, salvatrice du devenir de beaucoup de films injustement boudés. Trente ans plus tard, le film possède toujours son public de fans, bien conscients des qualités indéniables de cette série B d’un temps révolu. Solaire et fantastique dans ses scènes d’exposition et sa fin lumineuse, le film retourne à plusieurs reprises avec bonheur dans le polar urbain et les nuits électriques de L.A., lorsque les ombres des vivants se voient étirées par les éclairages blafards. Et si l’on daigne replonger dans Hidden, on y décèlera même le visage d’un inconnu d’alors, un certain Danny Trejo, dans une de ses premières apparitions furtives.
Nombreux sont ceux qui n’ont même pas entendu parler d’Hidden II, suite réalisée sept ans plus tard sur les cendres de sa créature venue d’outre-espace. Un « direct to video » à l’intérêt très relatif… Un remake, renommé The Seed, fut annoncé vers 2005, heureusement jamais mis en boîte semble-t-il. Hidden est donc toujours vivant dans le cœur des cinéphiles, même pour les fans de Robocop, qui sont presque encore les seuls à se souvenir du fameux festival savoyard. Si vous les voyez encore tirer la langue, méfiez-vous en, il se pourrait qu’il reste au fond de la gorge un morceau de cette limace noire et visqueuse…