Sinister I
Super hate
Entre deux Paranormal Activity, la maison de production Blumhouse, alors en pleine ascension au début des années 2010, parvient à livrer quelques pépites qui deviennent vite une de ses marques de fabrique et qui vont faire sa réputation au fil des ans. Même si Jason Blum produit encore alors des comédies comme Fée malgré lui, c’est surtout des films d’horreur à faible budget comme Insidious, nouveau succès monstre, puis deux ans plus tard, Sinister qui vont faire recette. Résolument moderne dans sa vision de l’épouvante, Scott Derrickson (Hellraiser V) n’emprunte pas le même chemin que James Wan qui flirte avec le style plus rugueux des années 70 qu’il affectionne tant. Il partage par contre avec lui l’envie de raconter la terreur qui s’insinue dans le quotidien d’une famille, condamnant celle-ci à traverser des épreuves qui la dépassent. Le succès est encore une fois au rendez-vous et une étude scientifique a même désigné des années plus tard Sinister comme le film d’horreur le plus effrayant de tous les temps. Un statut un peu excessif, d’autant plus que le film ne cherche pas à générer la peur à tout instant et la distille plutôt de manière intelligente tout en construisant une histoire solide et non moins sinistre, entre le thriller et l’épouvante. Un film éprouvant certes, incarné par Ethan Hawke qui compose admirablement un personnage d’écrivain en quête d’inspiration, mais bien plus subtile que l’imagerie sanglante que son affiche laisse augurer. Mais chuuut, place à la critique…
Maison de meurtres
Pour Ellison Ostwald, sa femme Tracy et leurs deux enfants, Ashley et Trevor, c’est le jour du démanagement. Nouvelle ville, nouvelle maison, cela semble être une habitude pour cette famille qui n’a même pas encore revendu la précédente. Ellison est écrivain, cherchant son inspiration dans des faits divers sordides pour mener ses propres enquêtes et livrer des romans à sensations. Le choix de leur habitat est toujours lié au prochain projet d’écriture. Alors qu’habituellement, c’est dans un environnement proche qu’il décidait de s’installer, cette fois, Ellison a fait le choix d’investir la demeure même où une tragédie a eu lieu quelques temps auparavant, sans en informer sa femme. En explorant les lieux, il tombe sur un carton rempli de petits films en pellicule qu’il va s’empresser de regarder. Des instants du quotidien plutôt anodins, datant de plusieurs années en arrière, joliment titrés “Réunion de famille”, “Barbecue”, “Fête à la piscine »,… où l’on voit les membres de différentes familles filmés dans leurs jeux, leurs sorties, leurs hobbies… Sauf que sur chacune de ces bandes apparaissent soudain des scènes réelles de meurtres terribles : une pendaison où quatre personnes sont suspendues à l’arbre qui trône dans le jardin à l’arrière de la maison, une voiture incendiée avec des gens à l’intérieur, des individus ligotés puis noyés… Dans l’une d’entre elle, une silhouette inquiétante apparait, ressemblant à un démon aux yeux cernés de noir…
Création et souffrance
La quête d’inspiration par un créateur de roman, de musique ou de peinture est une figure de récit qui a souvent été explorée par les auteurs et cinéastes. Deux romans majeurs de Stephen King ont pour personnage principal un écrivain qui s’installe dans un lieu particulier afin de trouver la tranquillité nécessaire ou l’atmosphère requise pour son projet (Salem’s Lot, Shining). Le cinéma a également livré des histoires où la création littéraire ou artistique est au cœur de l’intrigue et se transforme en une sorte d’odyssée intérieure (Mother de Darren Aronofsky, Barton Fink des Frères Coen, Le Créateur d’Albert Dupontel…). Et lorsque l’alcool s’invite dans la partie, c’est une porte d’entrée à tout un tas de démons et de fantômes qui s’ouvre. Dans Sinister, Ellison Oswalt a déjà rencontré un beau succès public avec l’un de ses romans. Mais le temps a passé et il peine à renouer avec un nouveau best-seller qui lui permettrait de retrouver une aisance financière plutôt mise à mal. Dans ce travail solitaire, le silence se fait pesant et le moindre bruit peut être énervant voire inquiétant. On pense forcément au personnage de Jack Torrance campé par Jack Nicholson dans l’adaptation du livre de King par Kubrick. C’est à une autre référence du maître de l’horreur qu’on a droit dans Sinister avec l’apparition d’un chien qui fait citer le nom de Cujo à un personnage. King reste une référence inévitable lorsqu’on parle de récits où le macabre et le surnaturel s’invitent dans le quotidien d’individus plutôt banals mais il est rarement cité de manière aussi assumée. Le schéma initial de Sinister présente de sérieuses similitudes avec Insidious, où c’est la mère qui passait ses journées seule à composer des chansons et à être confrontée à des événements étranges. C’est également dans les combles de la maison que va apparaître un élément déclencheur de l’histoire. On pourrait parler d’une recette facile de la part de Blumhouse, mais ce serait occulter la personnalité des réalisateurs et leur participation de près ou de loin au scénario qui rendent ces films bien plus personnels que la moyenne des productions horrifiques. Tandis que dans le film de James Wan, l’aspect créatif du personnage devient secondaire, dans Sinister, il va être lié de manière organique à tout ce qui va suivre.
Familles sacrifiées
Des bruits étranges commencent à se faire entendre, suivis par des situations non moins inquiétantes qui mettent à mal le couple: l’impression d’une présence étrangère dans la maison, les crises de panique nocturne du fils qui reprennent de manière soudaine. Le comportement de la fille, très bonne dessinatrice, évolue lui aussi. Certains de ses dessins reproduisent sans qu’elle les ai vus des détails des films trouvés par son père. La famille tout entière souffre du travail d’Ellison. La famille, élément central du début à la fin de Sinister, que ce soit à travers les quatre protagonistes qui la composent ou celles imprimées sur les pellicules de super 8. En décidant de les regarder une à une de manière obsessionnelle, Ellison y trouve une passion malsaine, l’occasion plus que jamais d’accomplir ce travail d’enquête qui a fait son succès et qui va même lui permettre d’aller au-delà de ce qu’il pouvait espérer. Ces scènes de meurtres sont une source d’inspiration exceptionnelle et une occasion évidente d’écrire son plus grand ouvrage. Fouiller et s’immiscer dans le malheur des autres va malgré lui réveiller des choses incontrôlables, dont le mal qui en est à l’origine. Il va lui-même souffrir de ces visionnages, aidé par l’alcool pour en supporter les atrocités. Lorsqu’il parvient à faire le lien entre ce qu’il voit en images et la réalité, il se rend compte que dans chacun des films, un enfant est manquant lors des exécutions, qui correspondent à des cas de disparitions répertoriés mais jamais élucidés sur des dizaines d’années. A force de chercher une logique rationnelle entre tous les éléments qu’il a collectés, Ellison va se perdre dans son entêtement et son jusqu’au boutisme et personne n’en sortira indemne…
Horror Scott
Sinister s’inscrit dans une sobriété formelle pour mieux déranger et surprendre. Que ce soit dans les cadrages très soignés, les déplacements de caméra jamais nerveux, la place laissée au vide, aux zones d’ombre, Sinister refuse les effets faciles et c’est ce qui lui confère de vraies qualités. Sans compter le travail fabuleux du son et de la musique de Thomas Milano et Christopher Young (Hellraiser, Jusqu’en enfer…) et ce thème dérangeant signé du groupe Boards of Canada, Gyroscope qui procurent des ambiances très variées au film et un degré supplémentaire de tension.
Scott Derrickson, qui oscille entre l’épouvante (L’exorcisme d’Emily Rose, Délivre-nous du mal…) et la science-fiction (Le jour où la Terre s’arrêta, Docteur Strange) peut se targuer, à défaut de s’être fait un nom aussi célèbre que James Wan, de signer de beaux succès publics et de parvenir à créer des univers complexes mais limpides dans leur forme. Trois ans plus tard, il rempile avec son co-scénariste C. Robert Cargill pour écrire la suite de Sinister mais laisse la réalisation à un autre, attiré vers une production plus “strange” de chez Marvel. Après Sam Raimi, James Wan ou James Gunn, c’est encore un réalisateur issu de l’horreur qui est débauché pour filmer du super-héros. Mais on peut déjà se réjouir du retour Scott Derrickson à l’horreur avec The Black Phone annoncé pour janvier 2022 dont rien que l’affiche alléchante et la présence d’Ethan Hawke au générique donnent déjà l’eau à la bouche…
Je découvre le site avec cette critique (en venant de chez « onsefaituncin.com »).
J’ai beaucoup aimé aussi Sinister justement parce qu’on n’est pas dans de la surenchère permanente de jumpscares bidons ou de scènes aussi grandiloquentes qu’inefficaces (coucou l’exorcisme qui ouvre Conjuring 3). Ca donne encore plus de puissance au final auquel, franchement, je m’attendais pas spécialement (j’étais naïve, maintenant je me méfie de tout).
Je ne sais pas si vous avez vu le 2 (peut-on appeler ça une suite ? Non, je n’crois pas), mais il est mauvais. Genre vraiment… Les acteurs ont l’air complètement absents, à se demander s’ils ont été dirigés par quelqu’un, c’est presque gênant à regarder.
Bonjour
Merci pour ta réaction! 🙂 Je n’ai pas vu Sinister 2 et ai découvert seulement Sinister récemment. A l’époque, à travers son affiche hyper sanglante et la mode des films bien trash et leurs suites (Hostel, Saw…), il ne semblait pas se démarquer. Bonne surprise effectivement ! Il évite les pièges faciles et garde une part d’ombre bienvenue. Je vais quand même oser regarder le 2 même si tu n’es pas très encourageante ;-).
J’ai découvert par la même occasion ton blog sympa. Tu n’écris plus trop ? Si jamais ça peut t’intéresser d’intervenir par ici… la porte est ouverte.